Dialogue entre l'histoire de l'art et le lecteur-spectateur afin de (re)découvrir une pratique contemporaine. 

Certains termes fascinent autant qu'ils rebutent. Le vocabulaire de l'art, et spécifiquement celui de l'art contemporain, offre ainsi une galaxie de notions qu'il s'avère délicat de cerner. Parmi celles-ci, l'installation est un terme de choix. Originellement, l'installation renvoyait au fait d'établir un ecclésiastique dans ses fonctions, relevant ainsi tout à la fois d'une dimension de pouvoir, de durée et de sacré. Ces significations résonnent-elles alors aujourd’hui avec l'installation artistique ? Peut-être, au regard de leur rapport au spectateur, au temps et aux institutions. Au-delà, l'emploi du pluriel afin de désigner les installations s'impose. En effet, cette pratique est assurément marquée par sa plasticité, sa porosité et un problème de définition. Face à cette complexité, Itzhak Goldberg nous convie à dialoguer avec les acteurs de cette pratique, leurs oeuvres et leurs critiques, afin de parvenir à dégager un "ensemble de « principes mobiles » que partagent les installations" tout au long de son ouvrage. Et l'auteur de préciser immédiatement que de tels dispositifs réunissent rarement tous les principes dégagés. Dès lors, "l'installation, la scénographie, le choix du site – parfois à l'écart du circuit artistique -, les rapports internes entre les éléments, l'arrangement des pièces ou des objets, la position du spectateur comme corps percevant – présent à l'oeuvre et mis en situation par elle -, sont des composants actifs et indispensables de cette manifestation, conçue comme un tout, souvent inséparable de son lieu"   .

Cette pratique n'est donc nullement conçue comme un objet autonome, mais bien au contraire comme un espace, spatial et temporel, unissant l'objet d'art, l'artiste et le spectateur. Les oeuvres créées sont ainsi pensées en tant que processus. Et cela d'autant plus que les premières installations, « plus que des works in progress, sont en même temps des works in regression. Ces travaux, qui emploient des matières non "recyclées" artistiquement, mettent en scène non seulement une oeuvre, mais ils offrent déjà la vision de sa future décomposition »   . En effet, l'artiste peut désormais utiliser n'importe quelle matière sans la transformer aucunement.

Celui-ci s'arroge alors le droit de l'installer dans n'importe quel espace. Il convient de déceler dans ce choix de matériaux ordinaires l'influence centrale de John Cage, abolissant les hiérarchies entre les sonorités du quotidien, et celle de Rauschenberg, dont les combine paintings permettent également de renverser les hiérarchies établies. Au contraire, d'autres installations s'apprécient, selon l'auteur, comme des mises en scène plus recherchées, moins spontanées, à l'image des oeuvres de Oldenburg et de Wesselmann, véritables tableaux vivants.

Les origines de l'installation sont, elles aussi, délicates à cerner. De Kaprow, Klein ou Beuys, nul ne peut clamer avec certitude la paternité de cette pratique. A tout le moins est-il possible de relever l'ancrage et l'importance prise aux Etats-Unis, et plus spécifiquement à New York, de l'installation. Pour autant, le dialogue est continu avec le Vieux Continent et notamment le mouvement des Nouveaux Réalistes, lui-même marqué par une multiplicité d'approches artistiques. Au mieux, les rapports spécifiques à l'espace entretenus des deux côtés de l'Atlantique offrent des variantes originales. Ainsi, le Land Art s'impose comme l'art américain par excellence, en raison des espaces de no man's land encore offerts, tandis que Schwitters, avec ses Merzbau, transforme l'atelier et la demeure en "installation-demeure en marche", en écho à ses déplacements imposés.

A la multiplicité des pratiques répond la porosité des matériaux. Ainsi, l'année 1965 marque l'entrée des nouveaux médias dans l'univers artistique. S'appuyant sur la révolution technologique permise par la démocratisation de la vidéo par Sony, Nam June Paik, dans un "geste radical et violent", détourne et critique la télévision en lui offrant une finalité différente. "Nous déclarons le téléviseur sculpture du XXe siècle", énonçait alors Wolf Vostel. Quant à l'art numérique, il pose des questions renouvelées sur l'espace et la relation au spectateur, à l'audience.

Cependant, ainsi que le souligne Goldberg, en une dizaine d'années l'art vidéo est devenu un médium contemporain, celui qui permet de compacter les arts et de tendre à l'époque son mémoire le plus direct. Pareil constat s'impose également à l'installation, prise en un sens large, puisque celle-ci a perdu sa vocation critique et même subversive. "Longtemps étendard de la modernité, [elle] s'est désormais établie dans la normalité"   . En effet, l'installation occupe toujours l'espace sans pour autant le modifier ou le transgresser, frôlant ainsi "un nouvel académisme". A cet égard, véritable "ironie de l'histoire, la critique la plus spectaculaire des musées se fait avec des oeuvres que seules les institutions peuvent "se payer". En d'autres termes, les installations court-
circuitent le fonctionnement du musée qui, à son tour, leur permet de pénétrer dans le circuit de la reconnaissance". Cette limite à l'installation, marquant son évolution et son institutionnalisation, aurait pu être mise en résonance avec le rejet par certains spectateurs de son incursion dans un espace codifié et normé. En effet, Tilted Arc de Richard Serra constitue l'illustration exemplaire du rapport encore bien délicat entre l'espace public et les installations vouées à la pérennité, menant, en ce cas précis, à son démontage.

Si Yves Michaux dénonçait les installations dans L'art à l'état gazeux , concluant "qu'il n'est pas indispensable que le dispositif soit aisément identifiable comme de « l'art » : ce qui est de l'art, c'est l'effet produit"   , le présent ouvrage permet au lecteur de devenir un spectateur averti et de voir le dispositif lui-même comme oeuvre d'art