Catalogue d'une exposition dont le concept donne une nouvelle image de l'oeuvre de Carolee Schneemann.

L'œuvre de la plasticienne et performeuse Carolee Schneemann, bien qu'elle se distingue par l'engagement de son corps et de sa sexualité comme dans ses performances les plus célèbres Meat Joy (1964) ou Interior Scroll (1975-7) ou son film Fuses (1964-7), résiste aux grilles de lecture des gender studies de l'art. La complexité voire l'ambiguïté de ses rapports à l'histoire du féminisme, à cause de la féminité et de l'hétérosexualité épanouie affirmées par l'artiste à rebours d'autres tendances dominantes du mouvement, n'a pas favorisé la compréhension de son oeuvre. Beaucoup de théoriciennes féministes ont rejeté son oeuvre, comme le rappelle l'artiste elle-même dans cette publication. Le parti pris de l'exposition conçue par Annabelle Ténèze pour le Musée départemental d'art contemporain Rochechouart dont elle est l'actuelle conservatrice, Carolee Schneemann. Œuvres d'Histoire, a le mérite de dépasser certaines approches réductrices de l'oeuvre de l'artiste, en choisissant de déplacer l'angle d'approche habituel à celui plus large et moins mis en lumière par l'historiographie jusqu'à présent, de l'engagement de l'artiste dans l'histoire du XXe siècle, tout en offrant la première rétrospective française de l'artiste américaine.

Le catalogue qui résulte de cette exposition est un livre de format léger, en poche, composé de trois essais, synthèses de qualité, qui étayent le concept de l'exposition. "Then and Now, Carolee Schneemann, oeuvres d'Histoire" par la commissaire de l'exposition Annabelle Ténèze, en tête de l'ouvrage, présente les idées directrices et les oeuvres de Schneemann qui en sont représentatives, comme Viet Flakes (1965) et Snows (1967), expressions "de la colère, de l'indignation, de la rage et de la peine"   en contestation à la guerre du Vietnam, et ses autres oeuvres multimédia volontiers immersives qui inventent "une nouvelle forme de peinture d'histoire"   en même temps que des formes alternatives à l'insignifiance et l'indifférence des médias d'information – ce qui implique le paradoxe intéressant d'un engagement par l'art lui-même, à rebours des critiques utilitaristes ou idéologiques à l'encontre de l'art, condamnant l'art pour l'art (querelle qui a marqué toute l'histoire des avant-gardes, par exemple soviétiques). Le second article, "Carolee Schneemann, féminisme et Histoire" d'Émilie Bouvard, universitaire spécialiste de Schneemann, fournit une appréciable synthèse, nuancée et documentée, sur la contribution originale de Schneemann à l'histoire du féminisme, établie ici nonobstant les controverses suscitées par l'artiste y compris dans les mouvements féministes. Dans le troisième et dernier article, "Carolee Schneemann, Terminal Velocity", Stéphane Aquin propose une analyse de cas, sur l'oeuvre éponyme de Schneemann, inspirée par les événements du 11-Septembre, et sur la réflexivité des images de catastrophes dans les médias de masse. Enfin, une interview, menée par la commissaire de l'exposition, amène Schneemann à parler d'aspects de son oeuvre qu'elle aborde rarement, et sur lesquels justement l'exposition est axée. Les annexes sont minimales, limitées à une chronologie efficace et à une liste d'illustrations. Que celles-ci soient en couleur est appréciable, pour les reproductions d'oeuvres d'une artiste à l'origine peintre.

C'est en somme un livre cohérent et remarquable pour sa forte unité conceptuelle, ce qui est assez rare pour ce genre d'ouvrages collectifs et composites, souvent hétérogènes et déséquilibrés, surtout lorsqu'ils sont réalisés rapidement, comme ici, à l'occasion d'un événement culturel, une exposition. Ce catalogue d'exposition constitue donc un bel exemple de dynamisme, d'autant plus par son effort d'innovation, dans la pensée et l'histoire de l'art, pour l'historiographie de l'artiste. Bien qu'il ne prétende pas tenir lieu de livre définitif sur Schneemann (comme le livre More Than Meat Joy   auquel le présent article emprunte son titre), il contribue significativement à enrichir la bibliographie sur Schneemann. Ce petit livre a une grande efficacité thétique : sa thèse est simple et forte, mémorable. Cela est remarquable car ce genre d'ouvrages ont généralement tendance à la dispersion, à la dissolution des idées dans leur pluralité – d'où aucune idée maîtresse ne ressort au total, susceptible de s'avérer marquante, structurante pour la pensée du sujet traité. Le livre dirigé par Annabelle Ténèze a le mérite d'une originalité sans sophistication, en mettant au jour les oeuvres d'Histoire de Carolee Schneemann. Aussi, la lecture du livre peut enrichir le lecteur de repères clairs et marquants. Néanmoins, les auteurs restent remarquablement libres à l'égard des écoles de pensée, qu'ils mobilisent avec distance critique, élégance et intelligence, au profit de la justesse de l'analyse monographique. Leur objectivité et leur finesse d'analyse rendent légitime de supposer que leur ouvrage se démodera moins vite que certaines théories ou studies. L'ouvrage, à la suite de l'exposition, constitue une alternative intéressante et féconde à ces dernières