Raconter la petite aventure d’un groupe de journalistes de la radio suisse-romande à la recherche des traces de l’aide humanitaire suisse dans le Portugal des années 70, voici une démarche originale et hors cadre dans le petit monde de la comédie francophone. Cela est moins étonnant venant de la part du réalisateur suisse, Lionel Baier, à la tête de cette coproduction franco-helvético-portugaise…

Les Grandes Ondes est avant tout une comédie indépendante bien menée, construite autour d’un attelage de personnages attachants et fort bien incarnés, notamment par Valérie Donzelli (Julie) et Michel Vuillermoz (Cauvin). A bord de leur combi Volkswagen, les reporters sont confrontés à la vacuité de leur sujet, et se querellent sur les perspectives journalistiques à donner la démarche. L’opposition des caractères (reporter phallocrate contre journaliste féministe), doublée d’un écart de génération et d’une tendance à la perte de mémoire chez Cauvin, nourrit les scènes comiques, tandis que la délicatesse du personnage de Pelé (interprété par Francisco Belard), le jeune portugais interprète de fortune, creuse le récit d’une certaine mélancolie. Le décalage géographique (la rencontre Suisse-Portugal) et chronologique (les années 70) offrent quelques scènes de comédie inédites sans pour autant faire basculer le film dans la nostalgie ou le tourisme cinématographique.
 
Au contraire, le film de Lionel Baier est d’avantage à voir comme une variation européenne d’un genre cinématographique plutôt américain, le road movie. L’idée de mettre en scène l’Europe d’avant l’Union à 28 structure le film. Ici, la fragmentation de l’Europe des années 70 sert de cadre sous-jacent à la narration : les frontières et les distances ont un encore un sens, les cultures nationales sont encore objets d’exotisme propice au grand reportage, et les différences socio-économiques font l’objet d’aides au développement absurdes et paternalistes… Cette Suisse, prise comme modèle de démocratie et de prospérité par les Portugais de la révolution des œillets, a quelque chose d’ironique, vue depuis le contexte européen de 2014.
 
L’économie légère du film permet au cinéaste une liberté de ton et d’action que toutes les comédies n’ont pas, ce qui ne manque pas de pertinence pour un film qui met la liberté au centre de son discours. La libération du Portugal de la dictature salazariste, qui prend de court nos reporters au milieu de leur pérégrination, sert de point de départ à une série d’autres « libérations » vécues par les protagonistes (de déplacement, de création, de mœurs…) ; jusqu’à une certaine libération formelle du film lui-même, avec la figuration de la révolution par une scène de danse sur une musique de George Gershwin… D’où vient alors ce sentiment d’assister à une comédie légèrement tenue ? Retenue qui est d’abord l’expression d’une certaine distance, proche de celle des films de Tati, entre la caméra et son sujet ; sans doute reflète-elle aussi l’équilibre narratif instauré entre les protagonistes, dont aucun ne surnage vraiment comme personnage principal ; surement enfin, est-elle due à l’intellectualisation de la démarche, qui donne au film son côté feutré et subtil, au risque de court-circuiter son envol véritable