Un ouvrage récent revient avec intelligence sur le problème de la Cyber-littérature, c’est-à-dire au moins sans la placer d’emblée sous les feux de la dénonciation et de la nostalgie de la "bonne" et "vraie" littérature. Cet ouvrage : Fins de la littérature ?   .

Cette question nous intéresse, dans cette rubrique, pour sa relation à l’idée d’une production technoscientifique en matière littéraire, donc pour le rapport arts et sciences ou plutôt arts et techniques. Elle n’est pas posée sous l’angle d’une science de la littérature, ce qui relèverait d’une autre considération, et notamment des travaux de recherche portant sur la définition de la "littérarité" pour aller doit aux concepts. Nous la posons plutôt en rapport avec l’inscription des technologies dans l’écriture même.

Certes, rappellent les directeurs de l’ouvrage, l’affaire a tout de même un ressort historique bien connu. Les années 1970 ont effectivement rencontré l’Oulipo et quelques ouvrages qui se destinaient à fonctionner comme des machines de langage. Mais il y a aussi autre chose : les "Lettres d’amour" d’Alan Turing, par exemple, les textes aléatoires de Theo Lutz (1964), les poésies élaborées par ordinateur, mais aussi les expériences de l’A.L.A.M.O. (Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs, fondé en 1981).

En 1984, Alain Robbe-Grillet écrivait : "Chacun sait désormais que la notion d’auteur appartient au discours réactionnaire – celui de l’individu, de la propriété privée, du profit – et que le travail du scripteur est au contraire anonyme : simple jeu de combinatoire qui pourrait à la limite être confié à une machine, tant il semble programmable"   .

Les auteurs de l’ouvrage signalé ici jugent que, pour l’heure, ces entreprises ne font que développer, à l’aide de techniques nouvelles, des expériences de cadavres exquis, de poésie sonore, concrète, "déjà" mises en œuvre par les avant-gardes historiques et les littératures à contraintes.

Ce qu’ils appellent alors l’art "multimédia" est appelé autrement par Alexandra Saemmer. Elle leur donne le nom de "matières textuelles sur support numérique", et de "e-formes". Il faudrait maintenant prolonger ces réflexions et tenter d’alimenter les perspectives en forme de débat, plutôt qu’en termes si unilatéraux.

En élargissant le propos, les auteurs font aussi remarquer que l’immatérialité installée par le Net (évidemment par comparaison avec le livre ancien) met le livre en danger. Ce qui ne correspond pas à un discours nouveau, mais surtout ne propose pas de critère particulièrement intéressant de discussion. En revanche, ils vont un peu plus loin en précisant que le péril dont ils estiment qu’il est le plus important est celui-ci : celui de la dissolution du texte dans un espace réticulaire et multidisciplinaire. En s’appuyant sur les analyses d’Yves Michaud (portant plutôt sur l’art contemporain), ils débouchent sur la formule suivante : la disparition de l’œuvre comme objet et pivot de l’expérience esthétique.

Autant de sujets à méditer