Le numéro 60 de la revue Terrain, nous donne l'occasion de parcourir l'histoire passée et présente de différentes sociétés européennes et leur rapport à l'écologie. L'imaginaire écologique est celui par lequel les groupes humains à travers la recherche d'un autre rapport à l'environnement redessinent progressivement un autre rapport à la société et à ses valeurs (le temps, le travail, l'espace...).

Cette tonalité est donnée dès l'ouverture du numéro par un article qui emprunte le thème du récit utopique. Ce style a pour but de " dénoncer des problèmes, en insinuant une image de la perfection, en miroir de l'état actuel du monde" (p.6). Les auteurs rappellent les trois termes clés de l'utopie : "critique sociale, support spatial et projet social".   Nous retrouvons ces éléments dans l'enquête auprès de ceux qui, en France, adoptent une "écologie au quotidien" et qui revendiquent la construction d'un autre rapport au temps, à l'argent, au travail et bien d'autres choses encore. Christine Hugh-Jones témoigne dans un troisième article de son engagement contre les projets de développement justifiés par les problématiques environnementales, mais pas sans effets néfastes sur celui-ci (implantation de parcs d'éoliennes). Son analyse l'amène rapidement à comprendre les articulations entre politiques publiques et implantation des entreprises.

Au cœur des rapports de force, des oppositions et des arrangements se trouve aussi le sens et la valeur des mots. Ce passage, d'une volonté d'agir sur un objet précis (ici la production d'énergie) à un nécessaire discours général sur les enjeux du développement, sera aussi l'expérience du mouvement Slow Food. D'abord club de gourmets, le mouvement construira petit à petit un discours à la fois sur l'industrie agro-alimentaire, l'agriculture, l'environnement et les paysans cherchant ainsi à définir sa place dans l'espace public, politique et économique. Au-delà des individus et des associations, l'écologie se retrouve aussi au cœur des religions instituées. Les quakers anglais font-ils office, bien involontairement, d'écologistes précurseurs dans la chrétienté ? Depuis le XVIIe siècle, les biens de consommation sont soumis à un jugement moral dans le refus de consommer plus que de nécessaire, car c'est dans la simplicité et au fond de soi-même que l'on se rapproche de Dieu. Par leurs règles strictes, les quakers se tiendront à l'écart du reste de la société anglaise. Néanmoins le mouvement n'ira pas sans contradictions et difficultés. Il verra son nombre d'adeptes réduire très fortement et certains, banquiers et industriels, s'enrichiront ostensiblement mettant à mal les principes fondamentaux. Aujourd'hui, les quakers portent un discours écologiste qui tente de réconcilier les valeurs à la base de leur engagement avec les problèmes du monde contemporain.

L'article d'Isacco Turina montre quant à lui la difficulté pour l'église catholique de construire un discours clair sur l'écologie, tendu entre la domination de la nature et le respect et le non-accaparement de la création divine. Il souligne aussi que "l'attention presque exclusive prêtée à la vie humaine laisse dans l'ombre la protection de la vie non-humaine" (p.33).

Deux articles se détachent de ce corpus d'analyse de groupes humains. Le premier revient sur l'engouement récent pour les animaux naturalisés à travers la place qu'ils (re)prennent dans l'espace social et domestique. Cette analyse riche donne à voir la reconfiguration du rapport au sauvage, au domestique et à la mort au sein de nos sociétés urbaines ou rurales. Enfin Sophie Houdart revient sur le projet architectural abandonné de l'exposition universelle de Nagoya en 2005. Celui-ci ambitionnait une intégration morphologique de l'exposition dans le site de la forêt de Kumo.

L'objectif était d'en faire la première exposition de réconciliation avec la nature et ainsi clore plus de 100 années de démonstration de puissance industrielle. On sent l'engouement de l'auteur pour cette ambition conceptuelle et architecturale. Néanmoins, on regrettera que la place prépondérante (voir imposée) de la technique interposée entre les humains et la nature ne posent pas plus question, notamment dans la volonté affichée de rupture avec le passé. Car comme le souligne bien l'auteur "depuis la fin du XIXe siècle, les expositions universelles, conçues pour célébrer le progrès, technologique, économique, moderniste et civilisateur, constituent à la fois des moments réfléchissant les problématiques de leurs époques et des événements progressistes, visionnaires, déployant de manière ostentatoire des mondes à venir et à transformer." (p .94).

Sans être exhaustif, ce numéro de Terrain – dont il faut souligner la fort belle facture – nous offre un panorama éclectique de différents imaginaires écologiques. On pourra facilement trouver différences et similitudes dans les analyses, mais toutes rappellent que la question écologique ne se résume pas à elle-même. Elle est une façon, pour les groupes qui s'en saisissent, de se redéfinir par rapport aux autres et ouvre à des réflexions plus larges sur la société et son développement