* Sur les écrans à partir du 4 décembre

Dans La Jalousie, film projeté en compétition en septembre dernier à Venise, Philippe Garrel focalise son attention sur le sentiment du même nom, presque inhérent à l’amour lui-même, souvent représenté et analysé au cinéma. Déjà auteur d’une vingtaine de longs métrages, Garrel présente ici un film d’une incontestable fraîcheur, à la fois rapidement tourné, avec un petit budget, et en même temps très abouti, avec notamment une superbe photo en noir et blanc. Plutôt que de se concentrer sur une relation de couple perturbée par une tierce personne, comme Agnès Varda l’avait si bien fait dans Le Bonheur (1965), Garrel nous montre une jalousie qui circule, à la fois entre les personnages et les couples, mais également entre les générations ; quelques effets de domino fournissent la trame d’un scénario qui demeure assez autobiographique, dans la mesure où Garrel fait jouer à son fils (Louis) le rôle qu’a tenu son père (Maurice) dans sa vie (et c’est la petite fille du film qui représente le  réalisateur lui-même).

Le personnage principal masculin, incarné par Louis Garrel, se présente au départ comme un homme refusant le statut de père de famille tout en assumant pleinement sa relation avec sa petite fille. La frugalité et l’apparente bonhommie du personnage, qui paradoxalement s’accompagnent d’une certaine gravité, rappelleront à beaucoup  le caractère d’Alexandre joué par Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la Putain (Jean Eustache, 1973). Cependant, alors que dans les années 70 l’utopie des unions libres battait son plein, on semble aujourd’hui vivre le temps des désillusions.

Garrel traite de la jalousie d’une façon atemporelle, de la même façon que l’écrivain Alberto Moravia pouvait en son temps traiter du Bonheur conjugal ou du Mépris (roman adapté au cinéma par Jean-Luc Godard). Aux angoisses propres aux relations amoureuses (qui finissent mal en général), s’ajoute l’angoisse du comédien, ici en l’occurrence celle de la comédienne, magistralement jouée par Anna Mouglalis (dont la voix rauque rappelle celle de Fanny Ardant). Cette dernière campe une actrice en crise n’ayant pas encore atteint la quarantaine, qui n’a jamais vraiment percé et – surtout – n’a pas joué depuis six ans. Mouglalis parvient à en faire un personnage très attachant, une femme libérée qui choisit de vivre en s’affranchissant de nombreuses contraintes relationnelles. Aux cotés de Louis Garrel et Anna Mouglalis, on découvre aussi une petite fille de 9 ans, Olga Milshtein, filmée avec beaucoup de respect et de liberté par Garrel. Cette façon de filmer les enfants pour mettre en valeur leur naturel évoque d’ailleurs certains films de Truffaut (des 400 coups à L’Argent de poche en passant par L’enfant sauvage) ou Doillon (Le Petit Criminel, Ponette). Les répliques de cette enfant, qui ne manqueront pas de faire sourire souvent les spectateurs, rythment le film, comme le découpage en chapitre choisi par le réalisateur, et les morceaux de Jean-Louis Aubert composés spécialement pour le film (on peut dire ici que l’on "entend la guitare" !). L’ensemble, assez ramassé par rapport aux autres films de Garrel (77 minutes), donne un film étrange, à la poésie fragile, se détachant nettement de la production actuelle, en écho à certaines des plus belles heures de la Nouvelle Vague