Un portrait en dialogue d’Aimé Césaire qui permet à Daniel Maximin de brosser un panorama de la culture littéraire antillaise moderne.

Daniel Maximin, assidu de la librairie Présence africaine lors de ses études en Sorbonne, puis directeur littéraire de la maison d’édition entre 1980 et 1989, y a noué une relation d’amitié avec son aîné de trente-quatre ans, Aimé Césaire. C’est le témoignage de cette relation qu’il nous apporte dans cet ouvrage. Mais Daniel Maximin est aussi un écrivain important de la littérature antillaise contemporaine : plutôt qu’une biographie, qu’un témoignage ou une monographie, l’auteur guadeloupéen propose donc au lecteur un essai littéraire sur Césaire, son regard d’écrivain sur le poète martiniquais.

Césaire est bien sûr une figure incontournable de la vie culturelle et politique antillaise. Des écrivains de la génération suivante en Martinique ont tenté de prendre leur distance avec le modèle. Patrick Chamoiseau, même s’il a toujours témoigné de son admiration pour lui, en fait un portrait ironique dans son premier roman Chronique des sept misères   . Raphaël Confiant lui a consacré un ouvrage extrêmement polémique et controversé en 1993   . Au contraire, l’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin a toujours témoigné de son attachement pour Césaire qui occupe une place importante dans son œuvre, que ce soit dans ses essais ou dans ses romans et poèmes. Il s’en explique ici : il ne fait pas de Césaire une figure de père littéraire, mais de frère. Loin d’être un homme de conflit, Daniel Maximin est un écrivain de la conciliation : il ne s’agit pas de régler ses comptes ou de se faire une position, mais, au-delà de l’hommage, de montrer ce qu’Aimé Césaire apporte à la littérature antillaise.

Son Aimé Césaire, frère volcan se construit alors autour de l’histoire d’un compagnonnage. L’ouvrage est ponctué de conversations qu’ont eues les deux hommes, sans que Daniel Maximin ne se montre dans le sillage de son aîné, mais en vis-à-vis de lui. Ainsi, plutôt qu’une biographie de Césaire, le texte prend alors une coloration fortement autobiographique. On y suit les premiers pas d’un jeune intellectuel antillais dans le Paris des années 1970, sa découverte des milieux culturels des diasporas noires et les relations qu’il tisse avec leurs animateurs, de la génération qui le précède. En partie, le livre sur Césaire prend donc la forme d’un volume qui ferait paradoxalement suite à Tu, c’est l’enfance, récit autobiographique de Daniel Maximin publié en 2004   .

Est-ce à dire que Césaire n’est qu’un prétexte pour parler de soi, que l’essayiste efface le poète qu’il étudie derrière sa propre expérience ? C’est tout l’inverse qui se produit dans le livre. Pour Daniel Maximin, se mettre en scène en se remémorant l’impact qu’a eu l’œuvre de Césaire sur sa trajectoire d’intellectuel et d’écrivain, ainsi que leurs rencontres et leur dialogue, est un moyen pour rendre compte, de manière subjective – juste parce que subjective – de qui fut Aimé Césaire. C’est pourquoi le texte est constamment émaillé de citations de l’œuvre du poète et dramaturge martiniquais, qui viennent se mêler au propos de l’auteur qui semble ici servir avant tout à leur donner de l’écho. Fidèle à une écriture nourrie d’intertextualité qui a fait l’originalité de ses romans et de ses poèmes, Daniel Maximin s’approprie l’œuvre de Césaire pour mieux en souligner l’importance et la portée, faisant ainsi de son livre un ouvrage polyphonique.

Mais la polyphonie va plus loin. En effet, en se remémorant Césaire à travers les livres et les discours du poète, mais aussi à travers son propre parcours d’écrivain, il l’inscrit dans le réseau plus vaste du champ culturel antillais. Le livre porte donc le témoignage de toute une époque, de toute une histoire culturelle antillaise. Daniel Maximin ne met pas en écho son œuvre et celle de Césaire, il met en relation la poétique césairienne avec la “géopoétique de la Caraïbe”   qu’il a décrit dans un précédent ouvrage. Césaire sert de repère et de pivot dans un portrait de la culture littéraire antillaise, et plus largement des diasporas noires. On entend ainsi les mots de Léon Gontran Damas, mais aussi ceux du Sénégalais Senghor, résonner autour des phrases de Césaire. Notamment, Daniel Maximin insiste sur Suzanne Césaire, dont il rappelle l’extrême importance dans la construction de ce champ culturel : au-delà de l’épouse, elle apparaît, à côté des inventeurs de la négritude, comme une figure majeure de la culture antillaise