Un article publié dans les Nouvelles d’Archimède (n° 64, 2013), la revue culturelle de l’université Lille 1, nous rappelle que cette question des surfaces d’échange entre arts et sciences ne relève pas uniquement de la théorie mais aussi d’un investissement concret dans la formation des étudiants.

Son auteur, Bernard Maitte, professeur émérite à Lille 1, s’appuyant sur l’ouvrage de Jean-Marc Lévy-Leblond, La science n’est pas l’art (Paris, Hermann, 2010), que nous avons déjà plusieurs fois commenté, rend compte d’une rencontre entre arts et sciences dans le travail de Patrick Bougelet, dont certaines œuvres sont installées à Villeneuve d’Ascq et à la citadelle de Lille. Ce travail se déploie depuis la fin des années 1960.

L’auteur de ce commentaire relève le mode de travail de l’artiste, qui s’attache à mettre en œuvre des nombres, des suites mathématiques, des systèmes logiques, des petites équations à une ou deux inconnues. Et l’auteur de décrire ce travail : le report de l’une à la suivante (des équations) par modification de la formule précédente le conduit à produire des dessins faits de segments de droit, mis en rotation selon des codes et des formes prédéterminées. Si l’on devait dresser un parallèle, il faudrait revenir au travail de François Morellet qui, appuyé lui aussi sur les mathématiques, procède d’un principe de variation à partir de la géométrie. Sauf que Morellet n’aboutit pas au même résultat. Bougelet produit des résultats aléatoires.

Puis vient un deuxième type de travail : à partir de 1988. Il s’agit d’inventaires. Ayant hérité d’une maison, il décide de tout laisser en place, de ne rien déranger. Il considère ce « tout » non pas par rapport à un usage, mais comme sujet d’une réflexion globale. Il dresse donc d’abord un inventaire. Un commissaire priseur établit une description des objets et évalue les meubles. Alors commence le travail artistique. Il consiste à répertorier « dix-sept lieux, (il) les identifie, leur affecte un numéro d’ordre selon les surfaces décroissantes qu’ils occupent, leur attribue une couleur, tirée au sort parmi les 26 lettres de l’alphabet plastique de Auguste Herbin (1882-1960), qui fait correspondre à chaque lettre une forme, une couleur et une note de musique.

En première approche, le travail est donc un travail de repérage des traces d’une vie, de restitution des témoignages de la ténuité de l’existence. Mais le travail est ensuite exposé dans des institutions, sous le titre de EXTRAIT. Chaque installation expose l’identification et la description standardisée des objets présents. Alors jouent non seulement la description et l’inventaire, mais aussi l’imagination du spectateur, la mémoire et la subjectivité de ce dernier.

Ce qui est intéressant de surcroît dans le commentaire de Bernard Maitte, ce sont les conséquences qu’il tire de ses visites des expositions de l’artiste et de son propre compte-rendu. Au centre de l’analyse, la notion d’inventaire et la notion de classification. On sait que ces deux notions sont importantes dans certains domaines scientifiques. Et il nous donne la conclusion suivante :
" Un de mes points de vue sur l’œuvre est qu’elle peut nous aider à comprendre comment fonctionne le travail scientifique ".
" La science ne peut épuiser le réel ", disait Aristote. C’est sur ce principe que toute épistémologie des sciences se fonde . Et il nous explique pour finir, que c’est sur ce principe que se fonde la démarche de Bougelet. " Lors de l’élaboration d’une théorie scientifique, il n’est pas possible d’établir une séparation nette entre le compte rendu objectif des données de l’expérience et leurs interprétations théoriques possibles ". Chaque modèle d’interprétation permet d’appréhender le réel, il ne l’épuise pas.

En somme, le travail de l’artiste peut être compris comme une métaphore du travail scientifique