Georges Remi junior philosophe, l'occasion du trentième anniversaire de la mort de son oncle, sur la condition d'héritier

L’auteur est la première personne issue du cercle familial à présenter le clan Remi. À ce titre, il est question de souvenir, de parenté et d’héritage. D’abord de l’héritage personnel du créateur de Tintin, aux dispositions testamentaires beaucoup moins clair que ne pouvait l’être la ligne artistique du même nom. Ensuite de l’héritage intellectuel d’une œuvre dont Hergé avait signifié qu’elle ne devait pas lui survivre, du moins sous la forme de bande dessinée. D’emblée, l’image de la couverture donne le la. Un vieil Hergé en imper regarde l’objectif de haut. Est-ce la vision de l’auteur lorsqu’il était enfant ? Une forme de déférence ? Dès les premières pages, Georges Remi junior trace la route. Son bouquin ne se lit qu’à travers la relation entre son père, Paul Remi, et l’illustre aîné, Georges Remi, c’est-à-dire Hergé. Trente ans après la disparition de ce dernier, à l’approche du 200ème volume consacré à son oncle, le cousin de chair du petit reporter livre son témoignage.

En creux, cet ouvrage évoque l’ascension sociale d’un fils de tailleur dans la Bruxelles très conservatrice des années 1930. Lorsque le passage de la petite bourgeoisie à la bourgeoisie s’effectue sur le mode des arts. Une première partie se souvient de l’enfance, de l’adolescence. Une seconde, pragmatique, relate l’adulte, l’héritage matériel, esthétique et moral.


Les Remi

S’il commence son récit par la fin de sa relation avec l’oncle, c’est pour stigmatiser l’absence d’Hergé au vernissage de sa première exposition de peinture. En guise de représailles, Georges junior envoie une lettre d’insultes, lettre qui vient clore une relation ambiguë entre l’oncle célèbre et le seul héritier mâle de la famille Remi.
Georges Remi junior est né en 1946. Il prévient, son oncle n’a jamais collaboré. Son père Paul Remi vient de passer cinq longues années en oflag, le camp de prisonnier réservé aux officiers en Allemagne, une sorte d’équilibrage. Quant à Tintin au Congo (1930), Georges junior réside au Congo belge quelques années avant que n’intervienne la décolonisation. Paul Remi, en poste dans l’armée coloniale, assure la transition. Ce n’est plus la même histoire.

De retour d’Afrique, Junior découvre l’internat. Il découvre aussi l’insurmontable héritage. L’oncle, riche et fameux, et le père, classique et très exigeant, lui mettent une double pression. Son premier réflexe sera le suicide. " L’acte sera à l’image de (s)es études : raté ! ".
Entre ce père admiré et un oncle très peu pédagogue, " je ne garderai de mes différents séjours chez Hergé que le souvenir pesant des convenances à respecter ", il tire partie de sa double ascendance. L’inspiration est paternelle tandis que l’aide matérielle se trouve souvent chez l’oncle. Sans que l’on sache lequel donne le plus.

Lorsque Hergé rompt avec la tante Germaine (août 1960), il brise la routine familiale. Paul Remi parle d’erreur : erreur sentimentale ou erreur de communication ? Pour Junior, l’attitude devant cette tante Germaine est symptomatique de sa relation avec le créateur de Tintin. Il confie un certain mal-être en sa présence à la page 165, s’en éloigne à la page 166, avant de recevoir une aide financière qui les rapproche à la page 222. Sans doute les caractères opposés des femmes Remi, Germaine, la mère de Tintin, elle qui signait parfois Hergée, et la mère de l’auteur, présentée comme la douce Jeanne, expliquent ce revirement d’attitude. D’autant plus que l’après Germaine s’accompagne d’un changement vis-à-vis des Remi. Dorénavant, Georges Senior et Georges junior se rencontrent dans la neutralité des Studios Hergé. Au sein de cette petite entreprise devenue prospère, le secrétaire d’Hergé, Alain Barran est décrit comme un premier obstacle entre Junior et un quelconque droit à l’héritage.


L’héritage

Hergé meurt à la page 233, c’est-à-dire en 1983. Paul Remi en 1986. Jusqu’à la fin du livre, Georges junior considère son éviction de la famille du petit reporter. D’abord de l’héritage direct, Paul Remi n’est pas convoqué à l’ouverture du testament. Si les dispositions concernant la première femme, Germaine, sont favorables, l’entreprise Tintin repose désormais entre les mains de Fanny, la seconde épouse. Georges junior détaille la trajectoire commerciale. Dès 1983, Alain Barran crée la société Tintin Licensing. Petit à petit, le héros à la houppette devient un produit dérivé. De son côté, Fanny Remi s’occupe des droits moraux de l’œuvre par le biais de la Fondation Hergé. La tendance s’accentue avec Nick Rodwell. Le second époux de Fanny Remi (1993) réunit sous la bannière Moulinsart SA la totalité des droits sur l’œuvre (commercial et intellectuel) en 1996. Par sa position privilégiée, Georges junior donne un peu de consistance à cette tournure mercantile, soulignant à la fois la faiblesse de Fanny (" Elle consultait des voyantes dans l’espoir d’entrer en relation (avec Hergé) pour lui demander son aide… ") et l’avidité sans scrupule de Nick Rodwell, lequel fait fabriquer en Chine des montres " Tintin " pour l’exposition Tintin au Tibet.

Le dernier tiers du livre énumère les règlements de comptes générés par les actifs de Moulinsart SA. Que ce soit du vivant d’Hergé ou non, toutes les tentatives de Junior pour faire partie de l’univers Tintin sont restées sans suite. Étaient-elles viables ? Était-il écouté dans l’annonce de ses projets en tant que neveu ? Toute l’ambiguïté réside dans ce statut. Désabusé, le neveu l’est d’autant plus que Nick Rodwell s’attache à effacer toutes traces des Remi dans l’inventaire actuel. Rayé du listing de l’entreprise, il ne sera pas invité à l’inauguration du musée Hergé de Louvain-la-Neuve en 2009.

Ce livre est un véritable plaidoyer pour tous les héritiers déçus. Malgré une écriture travaillée, il s’en dégage un sentiment de superficialité. Quant à la maquette, une fausse bonne idée d’intercaler des répliques de Tintin alourdit l’ensemble. L’ouvrage souligne surtout la difficulté de Georges Remi à se faire un nom et un prénom. Chez les Remi, l’artiste s’appelle Hergé et la vedette, c’est Tintin