À propos du dossier "Prévention des récidives d’angine - Pas d’amygdalectomie" dans le numéro de Juillet de la revue Prescrire (n° 357).

"Âgé de cinq ou six ans, je fus victime d’une agression. Je veux dire que je subis dans la gorge une opération qui consista à m’enlever des végétations ; l’intervention eut lieu d’une manière très brutale, sans que je fusse anesthésié (…). Toute ma représentation de la vie en est restée marquée : le monde, plein de chausse-trapes, n’est qu’une vaste prison ou salle de chirurgie ; je ne suis sur terre que pour devenir chair à médecins, chair à canons, chair à cercueil."
Michel Leiris, L’Âge d’homme (1939).

Michel Leiris peut se réjouir, l’utilité de l’opération des végétations a été remis en cause scientifiquement. Maintenant c’est au tour de l’ablation des amygdales d’être pointée du doigt. La synthèse élaborée collectivement pas la rédaction du numéro de juillet de la revue Prescrire décide d’écarter cette opération. L’amygdalectomie entraîne des effets indésirables "disproportionnés par rapport à son efficacité" : principalement des douleurs postopératoires et des "hémorragies rares mais parfois mortelles". L’équipe de la revue étaye ce parti pris par une solide documentation basée sur des essais comparatifs évaluant le bénéfice médical - le nombre de mal de gorge évités - dans l’année suivant l’opération.

Cette étude nous pousse à nous demander, de manière plus générale, ce que l’on peut penser en médecine des "-ectomies", de ces bistouris rapides qui guérissent en coupant. Michel Leiris nous rappelle qu’il y eut les végétations dès les années 1930 : adénoïd-ectomie. Mais il y eut aussi les amygdales dans les années 1960 : amygdal-ectomie, les vésicules biliaires dans les années 1970 : cholécyst-ectomie, les utérus dans les années 1980 : hystér-ectomie, les ménisques dans les années 1990 : ménisc-ectomie, les hernies discales et le syndrome du canal carpien dans les années 2000, les seins et les prostates dans les années 2010 : mam-ectomie et prostat-ectomie. Qu’en sera-t-il en 2020 ?

Faut-il couper d’abord pour s’apercevoir quelques années après que ce n’était pas forcément la meilleure solution ? Certaines de ces -ectomies sont certainement justifiables et thérapeutiquement inévitables. Mais est-ce le cas de toutes ? N’y a-t-il pas un effet de mode en médecine ? Ne doit-on pas s’interroger en permanence et chercher si on ne peut pas faire autrement que trancher dans la chair. Cette conception de la médecine qui estime d’abord que le patient ait à souffrir pour guérir soulève de multiples questions. Surtout lorsqu’elle dénigre certaines techniques médicales jugées méprisamment "douces". Pourtant, nous savons bien que bon nombre de nos maux ne sont pas purement mécaniques mais tout autant sociaux et humains. Supprimer la pièce défaillante équivaut bien trop souvent à déposer un mouchoir sur le problème et le déplacer ailleurs. Peut-être devrions nous soigner pour une fois les causes et pas seulement les effets