Chaque nouvelle livraison de la revue fondée et dirigée par Marc Dachy, Luna Park, offre au lecteur curieux des expériences de l’avant-garde une réjouissance certaine.

 

Ce qui frappe en premier lieu, et ce depuis la création de la revue (une première série a existé entre 1974 et 1986 ; la seconde série existe depuis 2003), est d’abord la variété de ses contenus : on y trouve pêle-mêle des articles historiques et d’analyse d’une grande rigueur, des témoignages d’artistes, poètes ou témoins, des reproductions de textes rares, des photographies, des échanges épistolaires… Cette multiplicité des formes de l’écrit participe de la qualité de cette revue.

Les noms qui apparaissent régulièrement dans les sommaires devraient achever de convaincre un lecteur réticent à l’usage de la revue : Brion Gysin, James Joyce, Hannah Hoche, Gertrude Stein, E.E. Cummings, Raoul Hausmann, par exemple. Dada y occupe logiquement une place importante, mais le mouvement né à Zurich dialogue avec les courants les plus modernistes de la littérature américaine et les expériences avant-gardistes de la seconde moitié du XXe siècle ce qui nous conduit à créer de nouvelles géographies poétiques et à tisser ici et là des réseaux inédits et pourtant riches de sens.

Ce dernier numéro, publié durant le printemps 2013, s’inscrit dans la dynamique des précédents. Le mouvement Dada mais aussi sa fortune historique, centrale pour saisir l’importance de Dada au-delà de sa relative courte vie, y occupe une place de choix. On y découvre un court texte de E.L.T. Mesens qui raconte une séance de récitation de poèmes de Kurt Schwitters. Ce récit offre le double intérêt de rappeler l’importance de Mesens, infatigable voyageur de l’avant-garde, surréaliste belge contribuant à dynamiser le groupe surréaliste anglais, proche de Satie dans sa jeunesse, ami de Tzara, et de nous faire entendre Schwitters pénétré par sa création poétique.

Cécile Bargues, qui a publié nombre d’articles passionnants consacrés à Dada dans de précédents numéros, éclaire un aspect peu connu de Raoul Hausmann. Réfugié à Ibiza au début des années 1930, l’éternel dadaïste se passionne alors pour l’architecture locale, produisant beaucoup de photographies étonnantes des bâtisses. Plus loin, un texte de Pierre Restany, où le critique propose une courte histoire de Dada, rappelle l’importance qu’eut le mouvement dans la genèse du Nouveau Réalisme. Par ailleurs, l’échange de lettres entre Marc Dachy et Bernard Heidsieck, reproduit dans cette livraison, permet de mesurer les enjeux historiographiques que revêt encore aujourd’hui l’étude de Dada sur la création poétique contemporaine. Marc Dachy y revient aussi sur ses positions vis-à-vis du futurisme, qu’il ne considère pas comme un mouvement d’avant-garde.

Il faut s’arrêter particulièrement sur la reproduction de “Moi qui j’avais”, une poésie de Christian Dotremont illustrée par Pierre Alechinsky, publiée en 1961. Il est entendu qu’il ne s’agit pas d’un texte inédit, puisque le poème est reproduit dans le volume des œuvres complètes de Dotremont, publié au Mercure de France. Mais le reprint, tel qu’il est présenté dans Luna Park, permet de lire le poème tel qu’il se présentait, et rappelle qu’il est d’abord le fruit d’une collaboration autant poétique que plastique entre les deux artistes. Le génie de la langue et de son dialogue avec l’image de Dotremont se déploie alors. On lira également avec intérêt un court article de Laurence Bertrand Dorléac consacré à l’énigmatique figure de Drieu la Rochelle qui passe de la proximité du surréalisme à la Collaboration.

Ainsi, ce nouveau numéro de la revue Luna Park contribue à perpétuer les débats et les réflexions sur les avant-gardes en faisant dialoguer les mouvements historiques avec des formes de créations plus contemporaines

 

* Luna Park
Nouvelle série, printemps 2013, n° 7
192 pages, 19 euros