Une analyse sans concession du bilan de cinq ans de présidence Sarkozy et des valeurs qui sous-tendent l'action de l'ancien président.  

Au moment où les comptes de campagne de l'ancien président de la République sont invalidés par le Conseil constitutionnel, Thomas Clay, professeur agrégé de droit privé, publie un ouvrage d'analyse politique intitulé Les lois du sarkozysme, dans lequel il essaie de dégager ce qui constitue selon lui "l'idéologie sarkozyste".

L'incapacité des analystes à saisir la nature politique du sarkozysme

Selon l'auteur, les politologues et les observateurs de l'actualité se trompent sur la nature réelle de la politique économique et sociale menée pendant cinq ans par le président Sarkozy. Là où la plupart d'entre eux dépeignent un président habile tacticien, "obsessionnellement rivé à l'actualité, sans véritable projet ni vision d'avenir", Thomas Clay estime pour sa part que le sarkozysme est une "pensée politique parfaitement structurée, qui s'est acharnée à insuffler de nouvelles valeurs au pays".

De quoi le sarkozysme est-il le nom ?

D'après ce juriste, le sarkozysme constituerait l'aboutissement de l'entreprise de "destruction méthodique" du contenu du pacte républicain et du modèle social français construits sous la IIIème République et confortés pendant les Trente Glorieuses.
A l'appui de cette dénonciation pamphlétaire, l'auteur convoque plusieurs événements allant selon lui dans ce sens :
- les attaques de l'ancien Président contre la laïcité, lorsque lors de son discours du Latran en 2007, dans lequel il affirme que "dans la transmission des valeurs, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur" ;
- Thomas Clay fustige également le lien qualifié de "délétère" entre identité nationale et immigration, en rupture avec la tradition française, qui a culminé avec le discours de Grenoble en 2010, critiqué fortement même à droite pour sa xénophobie ;
- le détricotage du droit du travail, avec la rhétorique incessante concernant la durée légale du travail qui constituerait un obstacle à la croissance et l'ouverture des commerces le dimanche, dans un pays encore marqué par la religion catholique, quoique largement déchristianisé ;
- le traitement populiste et libéral des questions de sécurité, appuyant le développement des polices municipales et des sociétés privées, au détriment de la police nationale, ouvrant ainsi la voie à une certaine privatisation de la sécurité en France.

Plus fondamentalement, l'auteur estime que le sarkozysme rompt avec ce qu'a été la droite française au pouvoir depuis le début de la Vème République, c'est-à-dire conservatrice, colbertiste et partisane d'une attitude indépendante en termes de politique étrangère. Thomas Clay affirme que c'est bien l'essence de l'héritage du général De Gaulle qui a été attaquée par son lointain continuateur : protection sociale, mise en place des franchises médicales, attaques contre la fonction publique, réformes de la fiscalité... Tout cela viserait à importer en France un autre modèle, le modèle américain, avec d'autres valeurs que celles de la République : culte de l'argent roi, libéralisme économique exacerbé, alignement diplomatique sur Washington, vision communautariste de la société, "buissonnisation" de la stratégie politique déportant le centre de gravité de la droite vers l'extrême-droite plutôt que de l'ancrer au centre-droit...

Quel avenir du sarkozysme ?

L'auteur termine son plaidoyer en synthétisant son propos de la façon suivante : "le sarkozysme a gouverné par division, en opposant les Français les uns aux autres, en jouant l'individu contre le collectif et en rejetant les institutions comme références et partenaires" de l'exercice du pouvoir et d'un bon fonctionnement démocratique. Le mépris témoigné à l'égard des corps intermédiaires et la mise à l'index de professions en tant que telles (par exemple, les magistrats que le président battu en 2012 avait comparé à des "petits pois, ayant tous la même couleur, le même gabarit et la même absence de saveur") semblent d'ailleurs aller dans le sens de cette analyse rétrospective.

De façon globale, au moment où l'ancien président, après avoir affirmé se retirer de la vie politique active, tente un retour sur le devant de la scène, cet ouvrage pose la question plus fondamentale du choix majoritaire des Français dans le passé et pour l'avenir : en 2012, Thomas Clay affirme que les Français "n'ont pas voulu de ce nouvel univers référentiel". Pour autant, ce rejet est-il l'expression d'un mécontentement conjoncturel lié à la crise économique et aux caractéristiques peu présidentielles de Nicolas Sarkozy dans l'exercice du pouvoir (exhibitionnisme de la vie privée, manque de considération à l'égard de la fonction de premier ministre et du rôle du Parlement, vision vassalisée des médias...) ? Ou bien n'a-t-il pas davantage à voir avec l'attachement majoritaire des Français au modèle républicain traditionnel, maintenu au gré des alternances politiques de 1958 à 2007 en dépit de politiques économiques et sociales différentes selon les gouvernements, au compromis social issu du Conseil National de la Résistance et à une volonté des citoyens d'une intervention régulatrice de la puissance publique face aux dérèglements de la finance internationale et aux dérives libérales d'un capitalisme financiarisé ?

Les prochaines élections prévues en France, en 2014 et en 2017, permettront de valider ou d'invalider la thèse défendue par l'auteur dans cet ouvrage. Ce sera alors aux Français de dire s'ils sont majoritairement ou non favorables aux "ruptures" introduites en France pendant cinq ans par l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine