Régis Debray, auteur du récent Un candide en Terre sainte, et Élie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France, débattent dans Le Figaro en date du 13 février 2008, des problématiques que ne cessent de soulever la situation au Proche-Orient : les rapports inter-religieux, la forte influence de l'islam politique, le rôle d'Israël et de l'Europe.

Comment atteindre l'équilibre politique au Proche-Orient ? Ce débat laisse entendre que la réponse à ce problème ne peut passer que par la capacité à atteindre d'abord un équilibre religieux entre les différents acteurs de la région. Si la religion, selon Régis Debray, est force d'ouverture, de rassemblement, elle est aussi ce qui sépare, et même, ce qui ne rassemble qu'en séparant  : "[...] les religions, et plus largement les cultures, construisent des murs en même temps que des rassemblements". Cette force de séparation, le repli auquel elle mène et la violence qu'elle induit, est illustrée par divers exemples repris dans l'entretien, notamment la situation des chrétiens d'Orient dont Régis Debray a le sentiment qu'ils sont victimes d'antichristianisme alors qu'Élie Barnavi distingue en eux une tendance à l'antisionisme voire à l'antisémitisme.

Que peut-on espérer alors, au vu de ce constat, pour améliorer la situation ? À la lecture de ce débat, même si le mot n'y apparaît que de manière furtive, on est tenté de répondre : la laïcisation, qui induit non pas un déni des religions, mais une reconnaissance de celles-ci, de leur rôle tout en écartant les dangers liés à leur trop forte politisation et à un sentiment identitaire trop fort. Régis Debray, à propos d'Israël, se dit "partagé entre [son] admiration éthico-intellectuelle pour un formidable exploit de modernité laïque et rebuté par la remontée d'un nationalisme théologique". Concernant l'islam politique, pour Régis Debray, nous ne pouvons pas tenir compte de la réalité de ce mouvement, dont nous contribuerons à l'accroissement à vouloir le refouler. Propos tempérés par Élie Barnavi, pour qui l'islam politique symbolise l'échec de tous les autres mouvements politiques (nationalisme et socialisme) dans les pays arabes. Signe de la "crise de l'islam comme civilisation", l'islam politique reposerait sur "une lecture dogmatique de l'islam", dommageable aux musulmans eux-mêmes. On est alors amené à se demander jusqu'où la laïcité et le principe de tolérance qui la sous-tend peuvent aller dans l'acceptation de ce qui semble en constituer la négation, sans sombrer à son tour dans une forme de violence négatrice de l'autre ? Question épineuse, d'autant plus que l'islam politique tire, selon Régis Debray, sa force de la "faillite des mouvements laïcs" dans la région.

"Régis Debray - Élie Barnavi : le Proche-Orient, l'islam et nous"
, Le Figaro, 13.02.08


* Pour aller plus loin et découvrir d'autres idées contribuant à ces questions :

- Lire notre dossier consacré au dernier ouvrage de Gilles Kepel, Terreur et Martyre (Flammarion)

- lire notre critique de l'ouvrage de Mohammed Abed Al-Jabri, La raison politique en islam, pour découvir et mieux comprendre les formes de la pensée politique dans le monde arabe

- lire la critique de l'ouvrage de Henry Laurens, Orientales, qui décrypte les rapports entre l'Europe et l'islam et les représentations que l'on se fait du monde arabe

- lire la critique de l'ouvrage de Freidoune Sahebjam, Reviens Mahomet ils sont devenus fous !, un livre qui traite des dérives liées à l'application trop stricte de principes islamiques mais qui aborde son objet de manière contestable.

- pour servir d'introduction à la compréhension de la situation au Moyen-Orient, lire la critique de l'ouvrage d'Olivier Roy, Le croissant et le chaos

- lire l'extrait de notre entretien avec Frédéric Worms à propos de la conception chez Bergson de la religion comme force de clôture et d'ouverture : "Penser la science, la religion et la technique avec Bergson"