Peu originale mais bien documentée et actualisée, cette biographie rappelle qui fut Fitzgerald à ceux qui ne l’ont pas lu.

Le livre de Liliane Kerjan, Fitzgerald. Le désenchanté   , reprend en titre le qualificatif qui a très vite marqué l’écrivain américain (1896-1940) ayant eu des déboires avec le cinéma hollywoodien. Il se réfère en effet au best-seller publié en 1950 par Budd Schulberg, The Disenchanted, qui raconte la collaboration d’un romancier au nadir de sa gloire avec un jeune scénariste : “C’est bien le mot qui caractérise Fitzgerald”   . Une autre phrase du livre, qui suit un rapprochement avec Rimbaud, lui sied également : “Comme si la vie était toujours ailleurs et sur d’autres rivages”   . Car Francis Scott Fitzgerald fut aussi quelqu’un qui ne tint pas en place, qui voyagea et emménagea de multiples fois tant en Europe qu’aux États-Unis. Cette étude ne le sépare pas de sa femme, Zelda Sayre, que Gilles Leroy avait réhabilitée dans Alabama song. Elle ne mésestime pas la part de désenchantement au sein d’un couple glamour qui fait les beaux jours des journaux mais qui empêche Fitzgerald de se consacrer pleinement à l’écriture.

Très tôt, ce natif du Minnesota à l’enfance heureuse et choyée cultive l’élégance et un certain dandysme. Ce potache dans l’âme écrit des pièces et nouvelles alors qu’il mène des études peu brillantes à Princeton, persuadé qu’on ne devient pas un grand écrivain à un âge avancé. C’est un être “enchanté” que décrit Liliane Kerjan, quelqu’un aux ambitions littéraires – “dévoré de l’envie d’écrire”   – qui se trouve assez vite sous les feux de la rampe aux bras d’une belle garçonne dont les excentricités répondent à l’humeur festive du moment. C’est très tôt aussi un “épistolier infatigable”   . Ses lectures sont acharnées, il apprend le français. C’est surtout quelqu’un qui a compris une époque qu’il incarne en enfant du jazz et en patriote, qui s’inscrit “dans l’histoire de l’Amérique pour forger une génération singulière, ardente par héritage”   .

Mais c’est “l’argent qui va obséder Scott tout au long de sa vie”   . C’est la question qui se pose dès le début de sa rencontre avec celle qu’il doit gagner par son talent d’écrivain et qu’il épouse grâce aux revenus de L’Envers du paradis, son premier roman. L’auteur célèbre de Gatsby le magnifique, roman encensé par la critique et adapté de son vivant au cinéma, même si ses adaptations le déçoivent, est très vite happé par une spirale sans fin où la lumière ne compense pas les dettes accumulées pour des dépenses toujours plus inconsidérées et pour les hospitalisations régulières de son épouse. Seul un travail alimentaire, qui nuit à la réalisation d’un roman digne de ce nom comme il en rêve (Fitzgerald en écrit une poignée), permet un temps de subvenir à tous ces besoins. L’auteur de Tendre est la nuit passe fatalement, tragiquement, de la lumière à l’ombre. L’importance des tenues de compte   occupe un esprit embrumé d’alcool dont la lente démolition correspond à un épuisement et à un désenchantement qu’expliquent, d’une part, les ventes insuffisantes de son premier grand roman et de ses textes en général   , d’autre part, son couple miné par l’excès et les rivalités.

Fitzgerald fut un auteur à la mode, “très représentatif de la nouvelle écriture américaine”   qui se voit finalement concurrencé et distancé par Hemingway qu’il avait contribué à faire connaître. L’étude insiste sur le souci pour lui de promouvoir le texte des autres, “convaincu que l’Amérique doit se démarquer des modèles anglais, qu’il faut défendre la littérature autochtone”   . Et puis c’est l’attrait de Broadway, l’attirance pour les paillettes qui l’emporte dans le tourbillon des mondanités : “L’argent, toujours l’argent qui permet de séduire et de s’étourdir”   . Ses romans sont publiés en feuilletons. Le temps fuit. Avec Zelda, il est l’avant-garde ; les locations de villas somptueuses se suivent et se ressemblent, augmentant le besoin d’argent et de reconnaissance. L’ascension de Fitzgerald est rapide, l’enchantement est chèrement compté ; la désillusion de ce nouveau riche au cœur adolescent et romantique n’en est que plus amère.

Ainsi les romans et nouvelles de Scott Fitzgerald reflètent-ils une vie arrosée dont l’ombre guette celui que les projecteurs propulsaient sur la scène mondaine où il pouvait se laisser aller à toutes les frasques ; mais la satire n’est pas absente de l’œuvre qui séduisait un Frédéric Berthet : “Scott l’écrivain possédait un sens authentique du tragique”   . Les relations américaines à Paris et sur la Riviera française font partie de l’engouement pour une vie sans sommeil qui se rêve chaque fois comme un nouveau départ, parant au découragement qui empêche d’écrire, c’est-à-dire de réaliser le projet de toute une vie. Les nouvelles paraissent à un rythme soutenu, rapportant ce dont Fitzgerald a besoin pour les soins d’internement de sa femme et la scolarité onéreuse de sa fille à laquelle cette étude s’intéresse grâce à la correspondance paternelle. La faille se creuse, la fêlure se précise et les arrêts répétés de boisson   ne suffisent pas à enrayer le processus de destruction ; une pleurésie attente à un travail désormais intermittent alors que le malade est de plus en plus éloigné des siens. Le krach boursier de 1929 n’avait bien entendu rien arrangé à une vie en sursis qui donne The Crack up.

Fitzgerald finit ses jours à Hollywood où il est réduit à écrire des scénarios et où il participe amèrement à la standardisation des sentiments, où il publie même une nouvelle sous un nom d’emprunt : où il s’effondre. L’étude de Liliane Kerjan se referme sur la gloire posthume de Francis Scott Fitzgerald, gloire internationale qui aboutit en France à la création d’un prix littéraire récompensant l’élégance artistique. Une bibliographie, une filmographie et un index des noms la closent. Pas particulièrement originale mais bien documentée et actualisée, cette biographie rappelle qui fut Fitzgerald à ceux qui ne l’ont pas lu