Un recueil d'articles inégaux sur l'archéologie biblique destiné en priorité à un public averti.

Le nouveau livre d’Israël Finkelstein ne causera pas la même émotion que La Bible dévoilée, écrit avec N. A. Silberman et publié en France en 2002. En effet, Un archéologue au pays de la Bible n’apporte pas de modification aux positions exposées il y a six ans, mais prolonge en cinq chapitres l’étude des résultats de l’archéologie biblique récente.

Le livre est en fait composé de six articles déjà publiés entre 1999 et 2007 dans différentes revues ou actes de colloques   . Le premier, qui fait introduction, est une adaptation d’un article de la revue La règle du jeu ; il s’agit presque d’un essai d’ego-histoire, précisant non seulement le point de vue qui guide aujourd’hui les recherches de l’auteur, mais aussi le chemin qui l’a conduit à cette position. Les cinq autres chapitres, traductions d’articles scientifiques développent des points particuliers. Le premier aborde de façon frontale la question de l’historicité du récit biblique pour les périodes anciennes, le deuxième, la transition entre les Cananéens et les Israélites, le troisième la datation de l’essor de Jérusalem, le quatrième la naissance du royaume de Juda et le cinquième les Philistins.

La lecture de ce petit livre (207 pages, en comptant une riche bibliographie) est plus difficile que celle des précédents ouvrages de l’auteur traduits en français. Les articles sont peu ou pas remaniés, et il faut une solide connaissance a priori de la Bible, de la topographie de la région étudiée et de l’archéologie biblique pour suivre les développements qui tous, sauf l’introduction, s’adressent à un public de spécialistes. Les thèses présentées sont celles déjà exposées ailleurs par l’auteur que ce soit sur la chronologie de l’âge du fer (abaissée d’un millénaire par rapport à la chronologie traditionnelle, comme l’explique un exposé très clair du système de l’auteur)   , sur les écrits deutéronomiques qui reflètent davantage les milieux qui les ont produits, aux VIIIe-VIIe siècles, que les périodes dont ils parlent, sur le royaume du Nord qui s’est développé beaucoup plus précocement que le royaume de Juda, etc.

L’émotion que pouvait avoir produit La Bible dévoilée ne se reproduit pas ici, d’une part parce que le choc est déjà passé, assimilé ou rejeté selon les lecteurs, d’autre part parce que la minutie des exposés et leur caractère technique risquent moins de frapper l’imagination, même s’ils soulèvent à n’en pas douter des débats vifs entre spécialistes.

Qui n’a pas lu La Bible dévoilée gagnerait à combler cette lacune plutôt qu’à se pencher sur ce nouvel ouvrage, à moins qu’il ne soit archéologue de profession, mais il serait erroné de croire que la lecture d’Un archéologue au pays de la Bible n’apporte rien. Justement parce qu’il s’agit d’articles scientifiques, on voit mieux que dans les ouvrages de vulgarisation la méthode au travail et la base argumentaire. Pourtant, on y retrouve aussi des motifs de frustration. Lorsque l’auteur élimine les positions qui ne sont pas les siennes, il le fait sans donner au lecteur la possibilité de se faire une opinion. À titre d’exemple, il réfute la datation traditionnelle du niveau solomonique de Megiddo comme "un cas classique de raisonnement circulaire et d’évaluation à l’estime"   , sans en dire plus. En revanche, il fournit avec détail les arguments qui l’ont conduit à abaisser cette datation traditionnelle. Parlant de l’armure de Goliath   , il rappelle l’hypothèse selon laquelle "cette description est celle d’un guerrier égéen du début de l’âge du fer" et conteste la validité de la comparaison : les armures de l’époque mycénienne sont non-métalliques, le javelot ne devient populaire qu’à la période géométrique, etc. Il suggère à la place que cette armure "correspond parfaitement à l’équipement que portaient les hoplites grecs du VIIe et du VIe siècle av. J. C.", mais deux pages plus loin, il reconnaît que "cette hypothèse présente (..) quelques difficultés", qu’il énumère ensuite : les armures d’écaille n’étaient pas communes en Grèce, un casque d’hoplite n’est pas compatible avec le récit biblique, car la pierre de la fronde n’aurait pas pu atteindre le front, les hoplites n’utilisent pas de porte-bouclier. Le lecteur s’interroge : pourquoi des incohérences sont dirimantes dans un cas, vénielles dans l’autre ? Il y a peut-être de bonnes raisons pour cela, mais l’auteur ne les donne pas.

En fait, la meilleure partie du livre est l’introduction, qui présente l’itinéraire intellectuel d’un chercheur qui est passé au cours de sa vie d’une vision de l’archéologie comme un moyen d’illustrer le récit biblique, à une archéologie plus indépendante, qui permet une nouvelle lecture du texte biblique. Le lecteur occidental, surtout s’il est un tant soit peu archéologue ou historien, ne peut qu’être frappé par la force de la pression idéologique sur l’archéologie traditionnelle en Israël, une force que nous ne connaissons plus sur nos chantiers, et que nous n’avons peut-être jamais connu à ce point. Mais on peut aussi se demander si la position d’Israël Finkelstein n’est pas celle d’un positivisme un peu naïf aussi, qui pense que l’archéologie peut être un "témoin en temps réel de l’événement"   et être entièrement dégagée de toute idéologie.

Ce livre n’est pas celui qui permettra de se faire une idée définitive sur ces questions. En effet, il offre une vision trop morcelée et incomplète du travail de l’auteur. Les différents chapitres se recoupent parfois, rendant encore plus difficile la lecture. Cette invitation à se pencher par-dessus l’épaule de l’archéologue au travail ne peut s’adresser qu’à ceux qui connaissent déjà les ficelles du métier et sont habitués au caractère aride de ses exposés. À ceux-ci, il offrira matière à réflexion sur leur propre pratique et sur les enjeux de leur discipline. Aux bons connaisseurs de l’archéologie biblique, il fournit un accès commode, et traduit en français, d’une petite partie de l’abondante bibliographie de l’auteur. Aux lecteurs qui avaient découvert dans La Bible dévoilée le caractère novateur, pour certains dérangeant, pour tous stimulant de l’archéologie biblique telle que l’auteur la pratique, le présent ouvrage demande un effort peut-être disproportionné par rapport à l’enrichissement apporté.