Le récit biographique d’un avocat au service des droits des détenus  

C’est l’avocat de la Bonne Nouvelle. Mal nommée maison d’arrêt de Rouen, vétuste au possible, entassant les détenus dans des conditions sordides, mais d’où est venue une jurisprudence révolutionnaire, ouvrant un droit à l’indemnisation pour les détenus ayant subi ces conditions de détention indignes. Grâce à Etienne Noël, l’obligation pour l’administration pénitentiaire de respecter les personnes dont elle a la garde était consacrée par la justice, créant un précédent qui s’est répandu comme une traînée de poudre à travers les prisons de France.

Le livre-témoignage Aux côtés des détenus raconte cette histoire, et dévoile les dessous des bouleversements juridiques récents qui ont affecté la prison. C’est donc en suivant le parcours singulier d’un avocat qu’on découvre l’univers carcéral, à travers les luttes qui ont permis de faire condamner l’Etat pour les violations des droits des détenus. Peu d’avocats se sont engagés dans la bataille juridique contre l’administration : un combat long, souvent ingrat, reposant sur un droit pénitentiaire et un droit de l’exécution des peines peu connus des juristes. Etienne Noël s’y est pourtant dévoué pleinement depuis près de vingt ans, avec intelligence et humanité, obtenant des victoires qui ont fait de lui l’un des avocats les plus populaires des prisons de France, et un porte-parole de l’Observatoire International des Prisons (OIP).

Le livre retrace les origines de cet engagement : non pas une «  vocation  », mais le produit de rencontres fortuites qui ont, progressivement, forgé une conviction profonde dans la nécessité de réformer la prison, et de la réformer par l’ «  arme du droit  »   . Le premier cas est celui d’un détenu victime de violences en prison : au lieu de se contenter de faire condamner le codétenu, l’avocat tente d’engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire. L’intérêt n’est pas financier (les indemnisations sont minimales), il est politique : il s’agit de créer une jurisprudence qui reconnaisse la responsabilité de l’administration vis-à-vis de ces «  usagers contraints  » du service public que sont les détenus. Progressivement, Etienne Noël, à mesure des nouvelles affaires qui arrivent dans son cabinet et des nouveaux combats qu’il engage, obtient une extension du champ des responsabilités de la Pénitentiaire : l’administration est responsable de l’intégrité physique des détenus (cas de violences entre détenus), de leur souffrance psychique (cas des suicides), de leur confort minimal (insalubrité des cellules et surpopulation).

Rédigé avec le journaliste Manuel Sanson – dans une écriture qui emprunte peu aux prouesses stylistiques des prétoires, mais qui a le mérite de se lire aisément – l’ouvrage se veut une plongée dans l’«  enfer  » de la prison, de ses violences, de sa froideur. Le ton est percutant, parfois trop, les auteurs n’ayant pas de mots assez durs pour décrire «  la pénit’  », une «  administration froide et sûre d’elle, ne s’embarrassant d’aucune empathie  », «  inhumaine machine administrative  », «  monstre administratif  », auquel seule importe « la gestion mécanique des détenus  » qu’elle traite comme des «  stocks  ». Dans les interstices du texte on comprend toutefois que la réalité est plus complexe, comme dans cette scène décrivant l’avocat qui arrive à la prison accompagné de deux experts pour constater l’insalubrité des lieux, et qui est très bien accueilli par le directeur de l’établissement dont on suppose qu’il a intérêt, lui aussi, à ce que des travaux soient engagés dans la prison qu’il dirige ; ou lorsque, déplorant l’absence d’accompagnement à la réinsertion en prison, l’avocat évoque le travail des conseillers d’insertion et de probation, exerçant dans des conditions telles qu’ils ont l’impression de «  vider l’océan à la petite cuiller  »… Lorsque l’avocat dit se placer «  du côté des faibles contre la toute-puissance de l’Etat  », on aurait envie de demander si, au contraire, ce n’est pas l’impuissance de ce dernier qu’il combat.

L’ambition de l’ouvrage n’est pas tant de donner des clés de compréhension du système carcéral «  de l’intérieur  » (les données factuelles sont relativement peu nombreuses, et parfois inexactes), que d’éclairer le parcours singulier d’un avocat. Son témoignage est un document utile pour qui s’intéresse à la profession. D’une part, parce qu’il explique avec clarté et pédagogie certains aspects de la technique juridique (comment l’avocat peut «  créer  » de nouvelles procédures : le cas de la suspension de peine à effet différé est très instructif et mériterait d’être enseigné en faculté de droit). D’autre part, parce qu’il prône une vision généreuse du métier d’avocat, incluant des tâches «  sociales  » souvent jugées «  non nobles  », comme aider un détenu à trouver un projet de réinsertion. Tout comme il se soucie du traitement des détenus par l’administration pénitentiaire, Etienne Noël se soucie du traitement des clients par l’avocat, et insiste sur la centralité des relations humaines dans son travail quotidien.

On peut toutefois regretter que le livre s’attarde peu sur les conditions concrètes d’exercice du métier : au-delà de la mention du faible montant de l’aide juridictionnelle, on en apprend peu sur le mode de rémunération de l’avocat    ; ou sur l’«  entreprise Noël  », qui a «  industrialisé  » les recours afin de les rendre accessibles à des centaines de détenus à travers la France (serait-ce l’expérimentation d’une class action à la française ?) ; ou sur l’importance du réseau militant sur lequel l’avocat peut s’appuyer (concrètement, que signifie, pour un avocat, d’être impliqué à l’OIP ?) ; enfin, on ne saura rien des relations avec les magistrats face auxquels l’avocat apparaît moins dans une relation d’antagonisme, que de coproduction d’une jurisprudence nouvelle   .

Mais le livre n’a pas l’ambition d’être une analyse de la prison, ou du métier d’avocat des détenus ; c’est un témoignage, qui propose des pistes stimulantes de réflexion à un moment particulièrement opportun, lorsque les projets engagés par le gouvernement avec la Conférence de Consensus pour prévenir la récidive amènent à repenser la place de la prison dans l’ensemble des sanctions pénales