Le livre de Marie de Gandt propose un regard neuf sur les coulisses de la vie publique et le métier de plume.

Ecrire les discours d'un président de la droite décomplexée en étant une femme issue de la gauche modérée, telle fut l'expérience de Marie de Gandt, devenue plume à l'Elysée de 2009 et 2012. Elevée à Ivry par des parents engagés, c’est sur les bancs de Normale Sup’ qu’elle rencontre celui qui lui ouvrira les portes du monde des puissants : Laurent Wauquiez.

Un regard nouveau sur le monde politique

Invité par son camarade de promo à intégrer son propre cabinet, elle déclinera l’offre pour raisons familiales avant de rejoindre successivement les équipes de Dominique Bussereau, Xavier Bertrand et Hervé Morin, pour finalement intégrer le staff présidentiel comme chargé de mission en charge des discours, en complément du duo disparate formé par Henri Guaino et Camille Pascal.

Elle se retrouve ainsi aux premières loges pour assister aux rivalités entre les différentes plumes présidentielles… et ne se gêne d’ailleurs pas pour tacler elle-même celui qu’elle nomme "le compassionnel" (c’est-à-dire Camille Pascal), dont elle moque à la tendance "à évoquer le petit matin blême où une mère retrouve le cadavre de sa fille déshonorée, le jour tragique où la policière décédée est partie joyeusement au travail sans savoir qu'il n'y aurait pas pour elle de lendemain..."

Principale originalité de l’ouvrage : il a été écrit par une novice des institutions républicaines et propose la vision d’une observatrice étrangère à la politique, des rouages du pouvoir et des cabinets ministériels. Eclairage nouveau et moins calculé que l’exercice classique du journal de quinquennat, Sous la plume   raconte ainsi comment Marie de Gandt a dû s'adapter à Nicolas Sarkozy, qu’elle décrit comme n’étant pas un orateur particulièrement doué et surtout connu pour ses improvisations maladroites. Astuce avouée : écrire phonétiquement les noms pour éviter des prononciations malheureuses, après que Roland Barthes soit devenu « Barthez » dans la bouche du président s’exprimant devant un parterre d'intellectuels.

Une réflexion sur le métier de plume

Si l’ouvrage s’égare parfois dans un style qui se veut trop littéraire en multipliant les dialogues intérieurs (présentés comme des discussions avec un ami imaginaire en fin de chapitre ou parfois en fin de paragraphe), il propose en revanche une réflexion sur le rôle des plumes politiques, ces collaborateurs qui sont imaginés comme les maîtres du verbe et supposés détenir les clés de la parole institutionnelle. L’auteure s’en défend et précise que "loin des compromissions qu'on leur prête, les plumes sont une espèce intègre."

Pour étayer le propos, elle raconte une anecdote qui illustre son approche du métier : "Un diplo raille un jour mon éloquence sèche. Je ne nie pas, me réjouis même d'avoir réussi cela. Pour moi, ne pas mentir, c'est ne pas faire de pathos." Car si un rédacteur de discours n'a pas de visibilité publique, le choix des mots relève d’une éthique professionnelle. Et ce n’est pas rien, car la marge de manœuvre est parfois étroite, notamment dans les discours diplomatiques où toute approximation peut provoquer un incident. A l’inverse, Marie de Gandt raconte son plaisir à écrire… les discours de remises de médaille, dont les cérémonies sont de véritables one-man-shows de Nicolas Sarkozy : "Je me laisse aller, goûtant notamment la capacité de mon orateur à s'approprier les souvenirs d'enfance que j'ose lui forger. Il les lit avec une conviction d'acteur qui rejoint en moi l'auteur, mais fait frémir le citoyen."

Enfin, un autre angle intéressant du livre est le regard particulier d’une femme dans un univers viril aux blagues souvent machistes, dans lequel elle évolue alors qu’elle est une femme enceinte, une femme qui allaite, une mère de famille qui jongle entre vie privée et vie professionnelle… Et quelle vie ! Refusant d’abandonner la carrière universitaire, Marie de Gandt fait des allers-retours permanents entre Paris et Bordeaux, au grand dam de ses collègues enseignants-chercheurs, qui la dénigrent comme un suppôt du pouvoir jacobin. Comme quoi les esprits étriqués ne sont pas toujours à l’endroit où l’on croyait les trouver.