Entre l'Etat et la commune, l'expace régional reste un objet politique mal identifié et en recherche de légitimité.

Le fait régional est multiple en Europe, avec des variantes institutionnelles ou administratives fortes. En France, il est issu de la tradition républicaine, une tradition confrontée à l’évolution de la légitimité des régions depuis dix ans. Spécialiste de la question des pouvoirs locaux, Romain Pasquier publie Pouvoir régional, Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France   . Il interroge avec intelligence ce pouvoir régional en insistant sur le double contexte de la construction européenne et de la crise de l’Etat-Nation. Sa réflexion embrasse la question de l’aménagement du territoire mais aussi du pouvoir dans ce nouvel espace politique en construction à travers trois axes. L’axe institutionnel des rapports de l’Etat vers la région, celui des mobilisations régionales vers l’Etat, et enfin l’axe de la gouvernance par les régions des problèmes locaux abandonnés par l’Etat. Le résultat est un néo-régionalisme, conséquence d’une reterritorialisation des intérêts économiques et sociaux locaux.

Une histoire franco-française entre constructivisme et résistance

La territorialisation du pouvoir rythme l’histoire française et le clivage centre-périphérie. L’Etat, sous le sceau du jacobinisme, œuvre dans le sens d’une prévention des inégalités économiques et sociales des territoires. En niant les particularismes, son action engendre aussi une politisation du fait culturel régional avec des revendications autonomistes ou identitaires. C’est pourquoi les premières phases de décentralisation sont mises en place dans un souci démocratique. A partir de 2002, dans une logique libérale, c’est un souci d’efficacité et de bonne gestion de l’action publique qui guide de législateur. La région, d’abord espace-clé de l’organisation du pouvoir de l’Etat, devient un lieu de négociation. L’Etat planificateur et interventionniste face au "désert français" laisse, peu à peu, la place à un Etat stratège, suggérant l’organisation du pays. Cette évolution, par la loi républicaine, ne donne pas lieu, comme dans d’autre pays européens à des volontés sécessionnistes. Le régionalisme à la française semble plutôt résistant aux velléités identitaires et assez volontaire dans la démarche d ‘intégration européenne. C’est néanmoins un nouvel espace politique qui prend corps.

Nouvel espace politique

La région, moins fluctuante que la métropole, est devenue un espace politique stable, parfois concurrent de l’Etat. Si elles ne sont pas autonomes, les régions françaises possèdent désormais une capacité politique en trois dimensions : agir pour l’intérêt d’un territoire donné, créer un espace d’expression de l’action publique et assurer une gouvernance stratégique du territoire. Cette reterritorialisation de l’action publique s’inscrit dans une nouvelle donne mondiale à laquelle les régions françaises tentent de s’adapter, en allant parfois au delà de leurs compétences propres. L’auteur rappelle que la question régionale est imbriquée dans le processus de la construction européenne. Cette imbrication s’est, au début, traduite en une crise de légitimité, l’espace régional étant pris dans un étau entre la fin de l’Etat-providence et la crise de la construction européenne. Les acteurs locaux ont du s’affirmer pour créer un espace de négociation où sont présents Etat, région et surtout l’Europe, chacun défendant ses propres intérêts.  L’Etat devient un accompagnateur de moins en moins autoritaire. Dans sa lutte contre les disparités régionales, l’Union européenne voit dans ce nouvel espace politique un interlocuteur du plus en plus légitime face à l’Etat. Enfin, pour la région, il convient en interne d’organiser une gouvernance avec ses territoires pour défendre ses positions et ses projets.

Nouvelle gouvernance

La région, par le biais de son assemblée démocratique, le Conseil régional, organise la prise en charge des enjeux locaux à travers une nouvelle gouvernance. D’abord parce que nombre d’actions et de projets locaux sont interdépendants et ensuite parce qu’il s’agit d’animer des réseaux horizontaux de collaboration dans le cadre des relations avec l’Etat et l’Union européenne. Cette meso-gouvernance, plus ou moins efficace selon les régions, s’harmonise dans un vaste maillage de partenaires publics et privés. En parallèle, la région doit aussi faire œuvre de républicanisme en luttant contre les déséquilibres territoriaux, souvent dus au phénomène de métropolisation. Un gain de légitimé de l’espace régional découle indéniablement de ces pratiques. L’opinion publique, encore peu sensibilisée aux différentes strates administratives de la vie démocratique, reconnait de plus en plus la Région comme un levier d’amélioration de la situation économique et sociale, sans pour autant, ne plus rien attendre de l’Etat, espace politique par excellence.

2015…

Alors que les recherches d’indépendance s’accroissent en Europe (Ecosse, Catalogne..), les régions françaises restent un espace d’équilibre entre désengagement de l’Etat et l’approfondissement de l’intégration européenne.  Avec les métropoles, elles sont au cœur des problématiques économiques et de attentes citoyennes, prenant peu à peu une mission politique jusqu’alors dévolue à l’Etat-providence.

Si l’Etat tente, ces derniers mois, de revenir dans le jeu territorial, face au risque réel d’une France à géométrie variable, l’action des régions est déterminante. Les messages politiques et les stratégies de communication à l’occasion des élections régionales prévues en 2015 vont devoir faire preuve d’une grande capacité d’adaptation. Alors que celles de 2004 et 2010 se situaient dans une démarche classique d’opposition au pouvoir central et de reconquête de celui-ci, en 2015 la configuration ne sera plus la même et la dépendance à la politique nationale plus marquée. La stratégie de la droite est toute tracée si la situation économique et sociale ne s’arrange pas. Pour la gauche, largement majoritaire, il s’agira de trouver un positionnement clair : celui de la région-providence qui, soit protège de la crise, soit accompagne la croissance…