Un style très journalistique et une thèse assez schématique, bien qu'illustrée d'exemples, sur l'échec en politique et les possibilités de s'en remettre.

L'approche médiatique de la politique, aujourd'hui surabondante et omniprésente, se plaît à dépeindre les personnalités politiques sous des figures de "grands accidentés", ayant connu des "épreuves" redoutables et présentant des "cicatrices". C'est à travers ce prisme psychologique, souvent qualifié de story telling, que la journaliste Clélie Mathias livre son analyse de l'échec politique dans son ouvrage On n'est jamais mort en politique ! De Mitterrand à Sarkozy   . L'une des thèses directrices de l'ouvrage insiste sur la prime électorale accordée aux politiques prêts à "souffrir" sur la place publique et ayant essuyé des coups violents avant d'arriver au pouvoir. Filant diverses métaphores de facture journalistique – le match de boxe, le mort-vivant, l'exil –, l’auteur évoque les différents types d'échec auxquels une personnalité politique peut être confrontée. Si l'ouvrage ne remonte guère plus loin qu'à de Gaulle et à Mendès France, il dresse néanmoins une typologie fournie.

L'entêtement et le manque de discernement en termes de positionnement politique constituent un grave facteur d'échec, pour partie dû à une trop grande "certitude de gagner". Cette "croyance en l'impossible" trouve deux exemples aux similitudes remarquables : les campagnes de Giscard en 1981 et de Sarkozy en 2012, aboutissant aux mêmes scores (48,3%), sont toutes deux marquées par une faible estime à l'égard de leurs concurrents respectifs, une crise économique et des idiosyncrasies comparables – ce sont tous deux des présidents jeunes, portés par une volonté de changement, dont le mandat achoppe sur un vif rejet. La démonstration de Clélie Matias présente pourtant diverses apories : d'abord, l'échec de Giscard ne constituait, contrairement à celui de Sarkozy, aucunement un pronostic de longue date, et s'explique par des faits propres aux élections de 1981 : stratégie du RPR d'un report tacite en faveur de Mitterrand, débat d'entre-deux remporté par Mitterrand, volonté d'alternance après vingt-trois ans de pouvoir exercé par la droite. Par ailleurs, l'échec de 2012 est à modérer, d’abord en comparaison de l'inversion des tendances des courbes de sondages quelques semaines avant l'échéance finale, ensuite par le phénomène d'hyper-médiatisation, apanage du quinquennat de Sarkozy. Ce désir de comparaison de faits historiques, aussi distants soient-ils et quels qu'en soient les moyens, marque l'une des faiblesses de l'ouvrage. Lorsque l'auteur s'en déprend, la réflexion gagne en pertinence : l'explication de l'échec cuisant de Chirac en 1988 paraît convaincante. L'adoption par ce dernier de "l'axe droitier", nouvelle panacée de l'Ouest, "avec Reagan et Thatcher", et sa prise en étau à droite par la vague frontiste et au centre par Mitterrand "qui [avait] regagné des points dans les sondages depuis la cohabitation, [occupait] le centre et [apparaissait] comme un bon père de famille protecteur et rassurant" : ces deux facteurs lui valurent de rater la marche élyséenne. Le prix de cet excès de confiance, lorsqu'il est exorbitant, conduit à une "humiliation historique". Jospin en incarne le paragon, lui qui, jugeant bon d'orienter ses coups en direction uniquement de son principal rival qu'il crut "usé, vieilli, fatigué", laissa huit candidats de gauche lui tondre la laine sur le dos, l'excluant du second tour, "K.O. debout".

Le manque d'ascendant psychologique, de ruse, quitte à prendre quelques libertés avec la morale, est tout aussi rédhibitoire dans une carrière politique. Michel Rocard fut incapable de faire face au louvoiement matois de son éternel rival, Mitterrand : "il n'y avait aucune hypocrisie de sa part, ce qui est un défaut en politique. Il était comme la chèvre de M. Seguin au milieu des loups", commente Jean-Paul Huchon, ancien lieutenant de la Deuxième Gauche. En réplique à ce manque de "haine", "le ressort le plus intime dans la compétition", Rocard professera avec constance l'inanité de l'échec personnel face au triomphe des idées, du "parler vrai". Bien que l'auteur rappelle à cet effet la filiation des échecs porteurs d'idées qu'incarnèrent tour à tour Jaurès, Mendès France et Rocard, elle laisse en jachère la critique d’une telle assertion. Une invitation à la pensée de Péguy, qui pointait avec ironie les contradictions de la morale kantienne, système "aux mains pures" pour la bonne raison "qu'il n'a pas de mains", eût été préférable ; tout comme celle de Nietzsche, reprochant à la "tartuferie d’animaux domestiqués" d’inculquer, au moyen d'une "morale d'esclaves", le mépris de la cruauté, faisant le lit du ressentiment et de la faiblesse. Ce manque de fiel se double d'accès de naïveté, que manifesta la "bande des mousquetaires" composée de Baroin, Copé, Le Maire. L'adage de ce dernier, "Le succès des uns fait le succès des autres", fut vite compromis par une commune ambition : 2017. " Leur bande ne pouvait donc que voler en éclats". La naïveté que prête Clélie Matias à Bruno Le Maire à propos de l'amitié nouée avec François Baroin semble exagérée, exagération non sans contradictions : l'auteur dépeint tantôt Bruno Le Maire comme un "dur" ayant mené une "bagarre terrible", tantôt comme un "dindon de la farce" se sentant "moralement blessé".

Le refus du dolorisme salvateur que symbolise la politique française ne va pas sans failles, légèreté et paresse, constituant tout autant de coups fatals. Si la journaliste s'attarde de manière trop attendue sur les soubresauts pourtant déjà rebattus de l’affaire Strauss-Kahn, elle parvient à susciter un intérêt plus vif vis-à-vis de la "paresse" dont témoigna Raymond Barre en 1988, se lançant trop tard dans une campagne bâclée. L'absence de "feu sacré" est ce qui rapproche ces échecs : l'amateurisme de Barre, le libertinage de Strauss-Kahn, la prudence de Balladur en 1995 sont tributaires d'un même "sentiment" selon lequel "faire de la politique de façon talentueuse et efficace consiste à gagner d'avance, à ne pas avoir à livrer un combat jusqu'au bout". Aussi Balladur et Strauss-Kahn avaient-ils décidé d'occuper le terrain médiatique au détriment d'un ancrage substantiel dans l'électorat. L'auteur se prête une nouvelle fois au jeu de la comparaison historique, en rappelant les déboires de l'écureuil Nicolas Fouquet qui, péchant par manque de méfiance vis-à-vis de Colbert, usa et abusa des fastes que lui permirent ses deniers amassés au cours de la régence, et le paya d'un emprisonnement à vie.

Les affaires judiciaires sont tout aussi redoutables : eurent à les subir certains idéaux-types particuliers, parmi lesquels le groupe des "rénovateurs" (Alain Carignon, Michel Noir) et ceux que l’auteur qualifie de "morts-vivants" : Alain Juppé et Laurent Fabius, dépeints comme "compétents", "rigides" et "arrogants". L'auteur oublie certaines armes dont la "rumeur", pourtant d'une violence inouïe. Si elle rappelle de manière trop rapide l'affaire Salengro de 1936 et les rumeurs d'alcoolisme ayant empêché Jean-Louis Borloo d'accéder à Matignon, pourtant pressenti en 2010, il aurait été pertinent de rappeler les tentatives de déstabilisation à l'encontre de Chaban-Delmas lors de la campagne présidentielle de 1974, qui eut à subir les rumeurs de responsabilité dans la mort de son épouse.

Dans une seconde partie, dont la distinction intellectuelle est difficile à saisir tant les faits enveloppent les analyses censées les sous-tendre, l'auteur se propose d'évoquer la réaction des politiques face à l'échec, la plus partagée étant l'exil. N'est-ce pas après une "traversée du désert", au prix d'isolements difficiles, en 1940 en A.E.F., à Londres en 1942, puis sa démission du Gouvernement provisoire en 1946, au moment de la reconstitution de la "République des partis", jusqu'à son retour triomphal en 1958, en passant par la création avortée du Rassemblement pour la France, que le général de Gaulle, quittant sa retraite de Colombey-les-deux-Eglises, a changé le régime constitutionnel de la France ? N'est-ce pas à la troisième tentative, après les élections de 1965 et de 1974, que François Mitterrand, inamovible cheville de la IVe République, un temps discrédité par l'affaire de l'Observatoire et par son manque de perspective lors des événements de Mai 68, a su infléchir son destin politique en devenant, sur le tard, premier président de gauche de la Ve République, quatorze longues années durant ? De manière plus récente, et moins spectaculaire, la cure de jouvence que prit Alain Juppé au Québec permit à l'ancien Premier ministre, marqué pourtant d'une peine d'inéligibilité, de revenir sur le devant de la scène politique, non sans l'acceptation d'un nouveau rôle, celui de "sage actif". L'ancrage territorial peut faciliter cet exil ; ainsi la Corrèze permet à François Hollande, après le manque d'autorité qui le caractérisa face aux "nonistes" Arnaud Montebourg et Laurent Fabius en 2005, une métamorphose ; tout comme il peut signifier un échec : ce fut le cas pour Giscard qui n'a pas réussi à relancer sa carrière politique à partir de l'Auvergne qui, à défaut d'être son "île d'Elbe", symbolisa sa "Sainte-Hélène".

C'est avec un certain sourire que l'auteur présente une autre forme de réaction face à l'échec, en évoquant les accents napoléoniens, rimbaldiens, gaulliens de Dominique de Villepin, avec en filigrane diverses références aux mythes romantiques du paria, de l'incompris, sans que cela ne se concrétise par une prise de risque, quelle qu'elle soit. Cette posture, proche de l'imposture, n'est pas sans rappeler le mal français de la "politique littéraire" qu'avait saisi en son temps Tocqueville : l'intervention de littérateurs au cours de la période révolutionnaire dans des débats abstraits avait contribué à la dérive utopique et extrême d'une politique en quête de pureté conceptuelle, vouant aux nues la froide raison géométrique et aux gémonies la sédimentation historique. L'illusion se mue en déni lorsque certains politiques refusent d'accepter l'amoindrissement de leur rôle dans l'espace politique, tel Lionel Jospin envisageant sérieusement de se présenter aux élections présidentielles de 2007, et Michel Rocard proposant de remplacer Ségolène Royal au cours de cette même campagne.

La lecture de l’ouvrage, toute plaisante qu’elle soit, ne livre que peu de révélations, bien que l'auteur ait mené plusieurs entretiens avec des témoins et des acteurs de la vie politique – aussi est-il cocasse de noter qu'à la question de l'échec en politique, Michel Rocard, de manière ironique ou inconsciente, réponde : "Quel échec ?". Le contenu de ces entretiens paraît souvent anecdotique dans la mesure où l'auteur se refuse à présenter une analyse à la fois approfondie et structurée, à preuve que la distinction même en les deux parties divisant le propos du livre présente de fâcheuses porosités. Cette superficialité se double d'analyses, sinon verbeuses, du moins bien trop expansives ; et par moments de concepts creux dans la mesure où ils sont massifs et traités avec une rapidité telle qu'elle en étiole la pertinence : sont expédiés ainsi des notions psychologiques complexes telles que la "résilience", le "suicide" et la "fréquentation du secret".

Enfin, le manque de profondeur historique, de références philosophiques et de recherches stylistiques n’aide pas l’embrouillamini de citations à recouvrer la structure intellectuelle que le lecteur est en droit d’attendre. La notion d'échec en tant que telle, et la lourde part rétrospective dont elle est porteuse, n'est ainsi jamais questionnée. Or l'échec a pour partie liée la spéculation autour des conséquences fantasmées d'une réussite qui aurait dû avoir lieu – ainsi Jean-Louis Borloo évoque les suites délétères auxquelles il a échappé en ne déposant pas sa candidature aux élections présidentielles de 2012 : "la politique n'a rien de léger ni de joyeux. Elle est tragique. Or je n'ai pas le sens du tragique, je ne suis pas un tragédien". Surtout, la notion d’échec ne prend sens qu’au regard des attentes du politique. Comment expliquer que Laurent Fabius ait qualifié la défaite de Lionel Jospin aux présidentielles de 1995 d' "échec d'avenir" alors que Jean-Marie Le Pen a pour sa part employé l’expression "d'échec glorieux" à propos de sa défaite aux présidentielles suivantes ? Le titre même de l'ouvrage n'est jamais mis en lumière : comment rendre compte de cette exception française de "vingt ans de souffrance, de malheurs, d'échecs et d'obsession" pour "faire un bon candidat" alors qu'un échec est souvent mortel aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne ? La nature semi-présidentielle du régime, pour reprendre la catégorie juridique de Maurice Duverger, rend-elle compte de l’exception politique française ? Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'auteur garde le silence