Une réflexion globale sur l'histoire économique, politique et sociale de la Chine depuis les premières réformes du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui.

Cette étude argumentée réalisée par deux économistes a la particularité et l'intérêt de se placer dans le cadre global des relations internationales, tout en s'intéressant précisément à la politique chinoise interne. Y sont exposées les conséquences des politiques chinoises sur la société internationale et l'influence de cette société sur la politique intérieure de la Chine. C'est la raison pour laquelle une analyse sur les limites du système économique contemporain, avec la présentation des différences entre le capitalisme et l'économie de marché, structure l'ouvrage. Les auteurs présentent d'emblée "le capitalisme [comme] un système de relations de pouvoir, dont la régulation exige des institutions sociales non soumises au marché"   . Autrement dit, l'ouvrage part du postulat que des instances de régulation étatique du capitalisme sont appelées à naître. Prenant en compte ce postulat, les auteurs estiment que la Chine peut prendre le leadership du changement et, par là, acquérir sa légitimité de puissance dominante du XXIe siècle. Selon les auteurs, "dans les vingt prochaines années environ, le capitalisme mondial va accomplir une transition vers un nouveau régime de croissance"   . Autrement dit, si ce changement s'avère effectivement inéluctable, la Chine serait bien inspirée de le prendre en compte pour agir au lieu de réagir. Se basant sur un pouvoir politique fort, elle est à même de relever ce défi du système économique de demain qui passera nécessairement par la "transformation conjointe des structures économiques et des institutions"   . La politique économique chinoise, outre son aura, en sortirait très certainement renforcée selon les auteurs, au moment même où sa politique monéraire se renforce par la convertabilité progressive du yuan.

Legs impérial et continuité politique

Pour accomplir sa mutation économique et sociale, le facteur politique est le plus important à prendre en compte. L'unité absolue du régime politique a toujours été la préoccupation centrale des dirigeants chinois. Au fil de l'histoire de la Chine, on perçoit la volonté forte de "préserver un régime politique hiérarchique bureaucratique, placé sous l'autorité souveraine du parti communiste"   . Cela s'explique notamment par le fait qu'il n'y a pas de classe intermédiaire en Chine ; les seules révoltes d'ampleur venant essentiellement de la classe inférieure, c'est-à-dire des paysans. La Chine conserve encore aujourd'hui le modèle impérial de la société à deux strates, sans véritable classe contestataire. Comme le disent les auteurs, "la société chinoise […] n'est toujours pas pluraliste"   . Si unité politique et unité du pays vont de pair, le paix sociale est par conséquent l'enjeu majeur pour tous les dirigeants chinois. Les grandes réformes ont pris en compte cette nécessité à la fois de garder ou de renouveler un pouvoir fort en permanence, mais aussi de veiller à empêcher les révoltes de la classe inférieure en améliorant ses conditions de vie. Toutes les réformes réussies se sont appuyés sur le peuple. Par exemple, la création de la base industrielle s'est faite lors de la période 1949-1978 avec le retour d'un Etat puissant et la hausse des niveaux d'éducation et de santé de la population. La Chine a réussi lancé sa dynamique d'industrialisation en s'appuyant ce socle solide. De même, toujours selon les auteurs, "la réforme de 1978 […] n'avait pas pour logique politique la convergence vers la libéralisation de marché, mais le maintien du régime politique unitaire spécifique à la Chine"   . Autrement dit, l'unité politique est étroitement corrélée à la maîtrise de la population. Les deux sont indissociables.

Face aux défis sociaux et environnementaux

Le bien-être du peuple et sa satisfaction s'avèrent donc être un élément décisif pour le fonctionnement du régime, mais aussi un élément de soft power important. Ainsi, parmi les défis principaux de la Chine à l'aube du XXIe siècle, se trouvent les défis sociaux. L'objectif est d'éviter "l'énorme gaspillage du capital humain, social et naturel"   . Ces défis se déclinent en deux catégories principales : la hausse du niveau de vie et l'amélioration de la prise en compte de l'environnement. Les inégalités sociales se sont aggravées sur fond de disparité entre les régions sur la période 1994-2008. La part de revenu des ménages dans le PIB a fortement diminué et la liberté d'expression de la population reste toujours aussi faible. Pour réussir à hausser le niveau de vie de sa population, "la Chine a [notamment] besoin d'une planification stratégique nationale qui relève les prix des capitaux intangibles, en particulier du capital humain, par rapport aux pris des capitaux tangibles »   . Cela passe aussi par une réforme fiscale approfondie améliorant la redistribution des richesses, voire mettant en place un Etat-providence, et par une libéralisation du secteur des services qui est aujourd'hui encore trop fragilisé par les nombreux obstacles administratifs. Enfin, il est nécessaire de donner la voix à la société civile en "donnant à la population plus de liberté d'expression"   .

Concernant la gestion de l'environnement, des cas graves, telles les inondations en Chine du Sud ou la sécheresse en Chine du Nord, soulignent cette impérieuse nécessité de réagir. A travers les mesures lancées par la Chine, Les auteurs prévoient "la substitution d'énergies renouvelables aux carburants fossiles"   pour parvenir à un modèle de croissance stable. Dans ce défi environnemental, l'innovation jouera bien sûr un rôle central. Toutes les mesures sociales ou environnementales participent à une amélioration du niveau de la population et à une protection de la croissance. L'objectif est double : c'est à la fois d'avoir une croissance stable en développant le marché intérieur par une consommation accrue, mais aussi une manière d'améliorer l'image de la Chine à l'international. Cependant, les auteurs restent conscients que "la mise en œuvre des mesures proposées […] nécessitera une forte volonté politique et un engagement résolu des dirigeants chinois"   . La volonté politique et, par là, le Parti communiste chinois, restent le point nodal de la transformation de l'économie chinoise.

De la stratégie de puissance chinoise

Cet ouvrage est sans conteste novateur et a pour grand mérite de placer le destin de la Chine dans une perspective globale à moyen et long terme. Cette étude ne voit pas le pays comme une menace pour la société internationale, mais davantage comme une opportunité de l'améliorer en redessinant un système à bout de souffle. Très axé sur les théorie économique et financière, La voie chinoise aurait cependant gagné à approndir son analyse des modalités de l'influence chinoise à travers les forces et faiblesses de sa promotion de la fameuse "société harmonieuse". On peut ainsi regretter que les auteurs restent en surface de certains aspects de la puissance, alors que l'ambition de l'ouvrage est d'en faire la référence stratégique sur la Chine. Pour autant, complet et clair, La voie chinoise propose une réflexion ambitieuse et inédite sur la Chine, mais aussi et surtout sur la sortie d'un système hégémonique en faveur d'un nouveau paradigme international. L'idée centrale de l'ouvrage est finalement que la Chine peut inaugurer un nouveau modèle de croissance s'écartant du schéma classique de l'hégémonie. Autrement dit, la Chine aurait un rôle majeur à jouer dans l'édification d'une nouvelle structure inhérente aux relations internationales. Elle pourrait, selon les auteurs et contrairement à toute attente, suite à une prise de conscience forte, favoriser l'émergence d'un "démocratie participative, socialement plus responsable, et plus approfondie"   . La Chine ne serait pas seulement la grande puissance du siècle à venir, elle en serait surtout la puissance légitime