Plaidoyer en faveur de l'indispensable recherche d'un nouveau paradigme pour l'Union européenne.

La citation figure en conclusion de l'ouvrage mais elle mérite qu'on s'y attarde. Le philosophe Gramsci définit la crise "comme cet interrègne où meurt le vieil ordre alors que le nouveau ne parvient pas encore à naître". Et il prévient : "dans cet interrègne naissent les monstres". Jean-François Jamet, auteur de l'ouvrage L'Europe peut-elle se passer d'un gouvernement économique ?, emploie cette image pour illustrer son propos sur la nécessité de trouver un nouveau paradigme pour l'Union européenne. La crise a montré les insuffisances de la gouvernance économique actuelle et l'essoufflement de l'Europe par le marché. Pour l'auteur, c'est vers une véritable union économique qu'il faut aller sans quoi "le risque", dans le contexte actuel, est celui "d'un retour en arrière sous la forme d'un repli national favorisé par la déception quant à la capacité de décision au niveau européen", avec les conséquences qu'on peut aisément imaginer.

Jean-François Jamet souligne que l'hésitation actuelle entre "gouvernance" ("espace économique sans barrière") et "gouvernement" ("forme institutionnalisée de coopération politique de type fédérale" apte à gérer les biens communs européens) traduit en fait la difficulté à trancher sur le degré de centralisation et de politisation nécessaire pour la politique économique européenne. Ces hésitations ne sont pas nouvelles. François Mitterrand avait proposé à ses partenaires européens un gouvernement économique à l'échelle européenne, s'inspirant en cela des recommandations de Jacques Delors ; l'ancien président de la Commission européenne estimait en effet qu'il fallait compléter la coopération monétaire par une coopération plus forte en matière économique. Cette proposition n'a cependant pas reçu l'aval des autres Etats membres au moment de la négociation du Traité de Maastricht. A Amsterdam, en 1997, ils ont consenti au Pacte de stabilité et de croissance, lequel a progressivement perdu de sa crédibilité. L'Eurogroupe, d'abord une instance informelle, a récemment été institutionnalisée par le Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009.

Dans son ouvrage, Jean-François Jamet décrit très bien le fonctionnement institutionnel de l'Union européenne et la complexité inhérente au système. C'est une gouvernance multi-niveaux qui engendre "des chevauchements de compétence (…) notamment parce que l’allocation des compétences résulte le plus souvent de négociations débouchant sur des compromis avec les centre de pouvoir traditionnel (les Etats) qui restent attachés à la conservation de leurs prérogatives. (…) Elle repose sur un équilibre particulier entre règles et pouvoir politique discrétionnaire ; les règles sont formalisées au niveau européen mais le pouvoir discrétionnaire est principalement dans les mains des Etats qui conservent le contrôle de la fiscalité et l’essentiel des moyens budgétaires".

La mise en place d'un gouvernement économique européen va au-delà de l'aspect budgétaire ; elle suppose notamment une politique fiscale européenne voire la mise en commun des dettes. Elle nécessite surtout un changement de paradigme. Comme le disait l'ancien ministre des finances italien, architecte de l'euro, Tommaso Padoa-Schioppa : un gouvernement économique de l’Union ne peut être fait que d’actions où l’Union est l’acteur et non pas le coordinateur. Pour l'auteur, "les citoyens ont bien conscience que l’Union européenne est mal armée pour répondre efficacement à leurs attentes et aux défis contemporains". Il reste aux politiques à convaincre de franchir le pas