“Nous avons voulu porter un regard sur notre Histoire – et notamment sur les hommes qui ont contribué à la faire – qui soit un regard de notre temps : un peu provocateur mais pas offensant, drôle mais pas dévalorisant.” C’est avec ces mots que Jean-Pierre Bel, président du Sénat, présentait l’exposition organisée par la Chambre Haute sur les grilles du jardin du Luxembourg qui regroupe 80 dessins de presse racontant avec humour et acuité l’histoire du siècle passé.

C’est la première fois que les sénateurs – que Plantu avoue souvent dessiner “sur des fauteuils roulants”, représentation graphique d’une assemblée que l’on a dite vieillotte et endormie – sortent des sentiers battus de la photographie pour présenter au public une autre forme de travail artistique. Un choix osé mais qui, pour Marie-Christine Blandin, présidente de la Commission de la culture, est la preuve de l’ouverture d’esprit retrouvée de la Chambre haute – car “les caricatures choquent quelquefois le politique”.

“Notre travail, c’est de venger les frustrations des Françaises et des Français et de le raconter sous forme d’images”, explique Plantu, quarante ans de dessins au Monde et à L’Express et une fondation, Cartooning for Peace, qui promeut une “meilleure compréhension et un respect mutuel entre des populations de différentes croyances ou cultures avec le dessin de presse comme moyen d’expression d’un langage universel”. “On aime la politique et le dessin, et on arrive à marier ces deux passions”, poursuit-il. Pourtant, si certains dessins passent effectivement à la postérité, la plupart ne sont au contraire qu’éphémères : Plantu reconnaît ainsi que ses nombreux dessins sur l’affaire Copé/Fillon seront tombés aux oubliettes d’ici quelques mois, quand l’affaire elle-même ne sera plus qu’un lointain souvenir…

En attendant, pour préserver et immortaliser les dessins qui méritent de l’être – les dessins qui, des années après leur création, peuvent encore toucher, émouvoir, les dessins dont la force du message contribue à faire l’Histoire – les éditions Les Arènes publient, en marge de cette exposition, ce qu’ils voient en toute modestie comme “La ‘Bible’ du dessin de presse” – un mastodonte de près de cinq kilogrammes qui raconte, comme aucun auparavant, le XXe siècle en 2000 dessins de presse, issus des coups de crayons de 175 dessinateurs différents.

Habilement répartis en onze chapitres chrono-thématiques qui rythment l’histoire du siècle passé, ces deux milliers de dessins racontent “La der des ders”, “Les années folles” et “Les années sombres”, “Le grand Charles”, “Les Trente Glorieuses” devenues “30 piteuses”, “68” et “Le monde en ébullition” avant de laisser place à un ultime chapitre qui témoigne de l’éveil de la conscience écologique – si ce n’est des populations et de leurs gouvernants, du moins des dessinateurs de presse ! – à l’heure de la crise environnementale. “Sous les pavés, la plage… et sous la plage, Total !”, note ainsi Faujour lorsque “la marée était en noir”, formule joliment trouvée par Patrice Lestrohan, auteur de la trame textuelle de l’ouvrage, pour décrire une réalité moins poétique.

Cabu, dessinateur au Canard enchaîné et à Charlie Hebdo, raconte qu’il a entendu une petite-fille demander à sa grand-mère, devant la fameuse caricature de Cabrol “Accès de Führer” représentant Hitler, qui pouvait bien être cet homme effrayant à la moustache carré – ce à quoi la grand-mère a répondu en commençant un cours d’Histoire à partir de ce dessin de presse. Un signe du caractère pédagogique de ces dessins qui permettent d’aborder l’Histoire d’une façon inédite mais néanmoins instructive et vivante.

Outre-Atlantique, le dessin de presse est une institution, porté par le New Yorker, hebdomadaire new-yorkais diffusé à plus d’un million d’exemplaires et connu pour sa une : un simple dessin, signé par l’artiste et dépourvu de légende – un dessin brut pour “peindre un portrait de société avec les images”, comme l’explique sa directrice artistique (française) Françoise Mouly, auteure d’un livre sur le sujet paru en septembre dernier   .

Art Spiegelman, lui-même régulièrement auteur de unes du New Yorker et récipiendaire d’un prix Pulitzer en 1992 pour sa bande dessinée Maus, expliquait en septembre dernier dans une interview au magazine Marianne que, pour lui, “un dessin commence avec une idée et se poursuit par la recherche de moyens graphiquement plaisants pour l’exprimer”. C’est, peu ou proue, ce qu’écrivait Stéphane Baillargeon, journaliste au Devoir (quotidien québécois) : “L’art du dessin de presse n’est pas un art pour l’art” : “Ces formes servent un fond.”

Il était temps que l’on reconnaisse, ici aussi, la dimension historique d’un art marqué, plus qu’aucun autre, par son lien intrinsèque avec l’actualité, éphémère par essence. “Plongez dans cet album pour saisir la complète absurdité du siècle dernier”, nous invite Patrick Rambaud dans sa préface… Et “que cent mille dessins fleurissent !”.

Le XXe siècle en 2000 dessins de presse
Jacques Lamalle et Patrice Lestrohan
Les Arènes, 2012

Exposition sur les grilles du jardin du Luxembourg
Du 23 novembre 2012 au 1er mars 2013