De l’exil à la mort, deux destins tragiques : Stefan et Lotte Zweig.
L’auteur germanophone le plus traduit au monde dans les années 1920-1930, Stefan Zweig est né à Vienne en 1881, il écrit de nombreuses nouvelles, de courts récits (Vingt-Quatre Heures de la vie d’une femme, 1927), un roman (La Pitié dangereuse, 1938), des biographies de Balzac, Dickens, Nietzsche, Marie-Antoinette ou encore Magellan, donne des conférences et publie des articles dans la presse internationale, sans oublier une riche correspondance et, aussi, selon les périodes, la rédaction de son Journal. C’est dire s’il s’agit bien d’un écrivain portant un message de paix et d’humanisme. Européen, cet ami de Romain Rolland, Émile Verhaeren, Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, va vivre la guerre de 1914 comme un véritable déchirement. Il en sera de même en 1939, situation aggravée par l’antisémitisme proclamé du régime nazi.
En 1934, à Londres, Stefan rencontre Lotte Altmann, née en 1908, qui devient sa secrétaire – la première épouse de Zweig, Frederike, prétend l’avoir fait engager… –, sa compagne et puis sa femme en 1939, une fois le divorce prononcé entre Stefan et Frederike. Ils vivent en Angleterre, à Bath, mais, une fois naturalisé britannique, Stefan peut envisager d’aller avec sa femme aux États-Unis. Ils arrivent à New York en juin 1940, qu’ils quittent pour Rio en août. De là, ils vont à Buenos Aires, en Argentine, où Stefan était déjà venu en 1936 et à nouveau à New York avant d’emménager, en 1941, dans une belle villa à Petropolis. C’est là qu’ils se suicident le 23 février 1942.
Ces lettres font état de la dégradation psychologique de Stefan, de plus en plus dépressif et n’entrevoyant aucune issue au conflit armé. Pourtant, leurs lettres témoignent d’une activité débordante, Stefan est célèbre et célébré. Tous les deux semblent se satisfaire des mondanités, même si parfois dans une lettre ils laissent entendre leur gêne d’être en de si bonnes conditions, sachant les restrictions de leurs proches restés en Europe. Mais ces instants de mauvaise conscience s’estompent et ils ne ménagent pas leur peine pour venir en aide à l’une ou à l’autre de leur connaissance. Leur générosité est facilitée par les rentrées d’argent de Stefan, chaque conférence est particulièrement bien rémunérée. Il est vrai qu’il peut les prononcer en diverses langues (allemand, français, anglais, espagnol), sauf le portugais qu’ils apprennent sur le tas, mais avec difficulté, alors qu’ils apprécient beaucoup le Brésil, ses peuples et ses cultures.
En 1941, Stefan Zweig publie Brasilien : ein Land des Zukunft, titre qui perdra son article dans la traduction portugaise (1941) et aussi dans l’anglaise (1942), laissant croire que le Brésil est la terre d’avenir et non “une” terre d’avenir… Déjà, lors de son premier séjour, il avait été positivement intrigué par la cohabitation “pacifique” entre des gens de couleur, de religion, de croyance et de revenus aussi contrastés. Son indulgence pour le régime dictatorial de Vargas (1936-1945), l’Estado Novo, qui tolère l’expression d’un antisémitisme “officieux” (la circulaire secrète 1 127 du 7 juin 1937 interdit de délivrer des visas aux individus d’“origine sémite”) et qui institutionnalise les inégalités raciales, conduit les intellectuels brésiliens de gauche (Jorge Amado, Carlos Drummond de Andrade, Rubem Braga) à se méfier de lui et à ne pas le fréquenter. Aussi, Stefan Zweig confie à l’hebdomadaire Vamos Ler ! du 23 octobre 1941 : “J’ai écrit ce livre […] en toute indépendance, me livrant tout entier à l’enthousiasme qui m’habitait quand j’observais et essayais de comprendre le présent et l’avenir de ce pays admirable.”
Les lettres rassemblées montrent deux exilés inquiets pour leurs familles, leurs amis et plus généralement pour les victimes de ce conflit, qu’ils considèrent aussi terrible que fou. Elles décrivent la vie quotidienne d’un intellectuel très sollicité et de sa “secrétaire” et complice, qui existe pleinement, et ses lettres brisent l’image d’une “brave” jeune femme sans caractère et montrent une jeune femme sachant écrire et mener sa vie ! Elles nous informent aussi sur la santé de l’un et de l’autre – Lotte a un asthme persistant et handicapant –, sur leurs perceptions du conflit et leurs analyses de l’actualité. En revanche, nous n’apprenons pas grand-chose sur le travail littéraire de Stefan, ses recherches pour ses ouvrages en chantier, ses plaisirs d’écriture, tout comme ses moments d’incertitude ou de panne d’inspiration. Ces lettres ne nous renseignent pas sur la petite fabrique littéraire de cet auteur majeur, dont le rayonnement se poursuit encore à présent pour notre plus grand plaisir de lecteur… Évidemment, les dernières lettres – car nous savons que ce sont les dernières – sont les plus émouvantes. Ils décident de quitter un monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus, un monde violent, guerrier, effrayant. Un monde duquel ils sont absents