Secteur à part des affaires étrangères, l'action culturelle et de coopération française reste généralement peu connue.

En se concentrant sur l’action culturelle et de coopération stricto sensu, Daniel Haize, longtemps acteur du réseau qu’il décrit, fait œuvre utile, en s’appuyant sur un corpus important de sources primaires et secondaires. Généralement, les administrations en charge de la politique étrangère sont peu étudiées, et l’analyse se fait plutôt sous le prisme de l’administration centrale que sous celui des agents. A contrario, l’auteur tente de "montrer que cette politique publique correspond plus à la résultante de l’action menée à l’étranger par le réseau culturel et ses agents qu’à la mise en œuvre d’une politique conçue et réalisée à Paris"   . Ce n’est certainement pas la seule originalité des attachés culturels, ces contractuels de la fonction publique dans une administration où la carrière a une signification importante.

 

De la montée en puissance au désengagement du Ministère des affaires étrangères

Alors que l’on associe généralement l’action culturelle au volontarisme de l’Etat, force est de constater que cette politique a d’abord été le fruit de la société française, notamment de ses forces religieuses   . En effet, jusqu’au début du XXe siècle, les deux tiers des missionnaires religieux du monde viennent de l’Hexagone   : cette situation a accompagné la présence culturelle française à l’extérieur, tout comme l’action des intellectuels et des émigrés, qui ont également eu un rôle décisif dans de nombreux pays. En somme, le culte, les Lumières et les vagues d’émigration ont préparé l’action de l’Etat français. A ces catégories s’ajoute évidemment l’influence des étrangers eux-mêmes, qui sont souvent les principaux soutiens des Alliances françaises et des relais locaux réellement francophiles. C’est ainsi que l’on peut expliquer que l’Argentine était, durant la seconde moitié du XIXe siècle, le troisième marché du livre français derrière la Belgique et la Suisse.

Bien avant que l’Etat ne s’en charge, avec la création en 1909 du Service des écoles et des œuvres françaises au Ministères des affaires étrangères et de la Direction générale depuis 1945, l’action culturelle avait donc déjà des ramifications profondes sur le terrain. Si la promotion de la langue française et les échanges culturels au sens large forment le cœur de l’action, de nouvelles missions sont apparues au fil du temps : la coopération technique avec les années 1960, la coopération scientifique dans les années 1970, et l’action audiovisuelle extérieure au cours des années 1980. Ce mouvement d’élargissement s’est confronté à la dynamique inverse dans les années 2000, avec l’externalisation de certaines missions et la création de plusieurs agences. Des phénomènes structurants comme le développement technologique ou les contraintes économiques ont accompagné ces redéploiements. Parmi les réorganisations récentes, la mise en place de la DGMDP (Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats) en 2009 a permis le transfert de compétences à des agences, l’administration centrale devant être dorénavant plus stratège que gestionnaire.

 

Un réseau culturel discuté

Au vu de son histoire, on comprend donc que le réseau culturel ne s’est pas réalisé dans une construction d’ensemble, mais par une solidarité de fait. Cette formation, en plus du caractère largement décentralisé du réseau, explique la volonté de l’auteur d’approcher le sujet "par en bas", accordant son attention au réseau et à ses acteurs. Cette approche permet de mettre en lumière la réalité et la complexité de l’action culturelle extérieure, qui se compose de quatre types de structures : les services de coopération et d’action culturelle, les centres et Instituts français, les Instituts français de recherche à l’étranger et les Alliances françaises conventionnées. Daniel Haize revient sur la diversité de ce réseau, qui réside tant les différentes structures proposées localement que dans l’inégale répartition des ressources en hommes. Le millier d’Alliances françaises existant aujourd’hui peuvent par exemple être partagées en trois cercles : certaines disposent d’un soutien financier, d’autres ne dispensent que quelques cours de langues, tandis que les restantes s’apparentent davantage à des cercles d’amitiés   .

L’autonomie du réseau est forte, l’administration centrale se réservant la ventilation des crédits, tandis que les postes définissent les projets. La liberté induite implique de bien hiérarchiser entre différentes priorités, ce qui fait que le conseiller culturel tient à la fois "du joueur de golf, du chef d’orchestre, du jardinier, de l’arboriculteur-médecin-missionnaire"   ; en un mot, il doit tenir compte d’un grand nombre de contraintes malgré une marge de manœuvre réelle. "Il lui faut à la fois faire preuve de fidélité quant aux engagements pris et en même temps de disponibilité par rapport aux demandes nouvelles"   . L’impératif de la recherche de financement se dresse également, se présentant selon diverses modalités : l’autofinancement, le cofinancement, le mécénat ainsi que le "réseautage", le tout sous l’œil vigilant de l’Inspection générale des Affaires étrangères.

Ce réseau fait aujourd’hui l’objet d’un vaste questionnement, dans la mesure où il n’a pas fondamentalement évolué à un moment où les ruptures technologiques et la mondialisation redistribuaient les cartes. L’auteur rappelle les oppositions marquées entre ceux qui font du réseau existant et de son extension actuelle un atout, et ceux qui y voient un réseau dépassé, déprimé et finalement archaïque. La rationalisation des coûts change la géographie de l’implantation du réseau français, ouvrant à Tbilissi et Bakou, fermant à Porto et Séville, transformant sa présence à Alexandrie ou Dakar. La réforme engagée en 2009 du réseau vise à créer un établissement unique et doté de l’autonomie financière, afin de bénéficier d’une plus grande souplesse de gestion sur le modèle notamment du British Council.

 

Le rôle des agents du réseau

Deux raisons essentielles poussent les agents du réseau à occuper un rôle fondamental dans l’action culturelle française : d’une part, la nature même de cette politique publique, s’appuyant sur le capital humain de ses acteurs ; d’autre part, le fonctionnement très déconcentré des institutions culturelles, qui amène les postes à prendre des décisions importantes, favorise ce résultat. L’auteur étudie avec précision et détails le corps des conseillers culturels, marqué par l’hétérogénéité de ses acteurs. A la différence des conseillers militaires (apparus à la fin du XIXe siècle) et des conseillers commerciaux (apparus après la Grande guerre), qui appartiennent à des administrations clairement identifiées, les postes de conseiller culturel ne sont pas valorisés dans une carrière diplomatique.

Du fait des spécificités du poste, la question de la professionnalisation des acteurs du réseau se pose à travers des questions comme la formation, la mobilité et les parcours. De fait, "La professionnalisation des agents du réseau dépend de la formation qui leur est donnée ainsi que de la bonne gestion de leur mobilité (durée des séjours à l’étranger et nombre de ceux-ci) et, en l’absence de carrière, de leur parcours"   . Sans corps spécifique, et en raison de l’hétérogénéité du recrutement, la question de la professionnalisation des agents s’avère essentielle non seulement à titre individuel, mais également pour le fonctionnement du réseau. La question de la durée et du nombre de postes à l’étranger se pose donc avec acuité. Nous sommes loin du temps des pionniers qui pouvaient rester plusieurs décennies en place, à l’instar des Paul Guinard à Madrid (1922-1962), Octave Merlier à Athènes (1926-1961) ou encore des Denis Saurat à Londres (1924-1946). Désormais, il n’est plus possible d’exercer plus de deux postes consécutifs dans le réseau, ce qui s’inspire d’un désir de renouvellement qui contraste avec le reste du corps diplomatique.

Quant à la détermination du choix des candidats, elle reste pour une bonne part discrétionnaire. Ainsi que le perçoivent les conseillers culturels eux-mêmes, "Un net assentiment se dégage donc quant à l’importance des compétences acquises (étendue de l’expérience et qualité du CV) qui ne paraissent toutefois pas être suffisantes pour être sélectionné. L’appréciation concernant la faible importance de la connaissance de la langue du pays d’affectation peut paraître surprenante. Le fait d’avoir des appuis politiques n’est pas perçu comme étant déterminant (…)."   .

La conclusion de Daniel Haize évoque un double paradoxe : d’une part, malgré le rôle des agents dans la mise en œuvre de la politique culturelle extérieure, leur professionnalisation n’apparaît pas comme une priorité ; d’autre part, quand bien même l’influence culturelle extérieure est proclamée comme un objectif, l’Etat ne semble pas parvenir à lui donner du sens. Le premier constat est sans appel ; en effet, "Le système actuel, avec ses règles strictes, est confortable pour l’administration qui s’accommode plutôt bien de la rotation des personnels et qui se dit finalement que "les bons" ne sont pas si nombreux et arriveront toujours à repartir en poste après un "purgatoire" (c’est l’expression communément utilisée) de quelques années en France"   . Le second constat peut être dressé crument : "l’Alliance de Paris est six fois moins subventionnée que la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux de galop en France et trois fois moins que la Fédération de canoë-kayak"   . On mesure hélas, à la lecture de ce livre, l’écart entre le discours et la réalité d’une politique menée sans véritable stratégie