Symbole manifeste de pouvoir et d'autorité, la question de la signature n'en demeure pas moins complexe dans le jeu politique. Que doit-on signer, que doit-on déléguer pour ne pas froisser ses administrés, etc. ?
* Cet article est accompagné d'un dislaimer.
La signature en politique, voilà un livre qui intéressera un grand nombre de lecteurs. Issu d'un mémoire de DEA de science politique remanié par son auteur actuellement en thèse de droit public, il est relativement court et de style aussi agréable que clair. Il a pour objet à vrai dire... un bien petit objet -la signature- qui en dit long sur les pratiques politiques. Il devrait ainsi favorablement attirer l'attention des politistes, toujours soucieux de mieux saisir l'action publique. En effet, si petite soit-elle - d'ailleurs pas toujours mais il faudrait pour cela recourir à la graphologie...-, la signature rend manifeste une décision publique. Or par le jeu des délégations, il n'est parfois plus très clair de déterminer qui a effectivement décidé. Rationalisation de l'administration avec en miroir gain de temps voire d'efficacité. Mais aussi risque de dissolution des responsabilités.
Et là, c'est parfois tant mieux. L'ouvrage, issu d'une enquête de terrain auprès d'élus et de leurs collaborateurs dans différentes institutions françaises et donc à différentes échelles (de l'Assemblée Nationale à la commune), montre bien la marge de manœuvre, relative mais réelle, qu'il existe dans l'usage de la signature. D'un certain point de vue, on peut alors parcourir ces pages comme un véritable roman, les extraits d'entretiens étant au reste du texte ce que les dialogues sont aux descriptions dans un texte romanesque classique. Dans cette perspective, il est des passages savoureux, même cocasses. On pense à l'extrait du témoignage de Bruno Le Maire en tant qu'ancien conseiller et directeur de cabinet de Dominique de Villepin lorsqu'il était Premier Ministre. Comment résister à citer ces lignes tant elles sont aussi éloquentes sur le fond qu'au scalpel dans la forme ?: "Il prend une pile de parapheurs sur son bureau, qu'il se met à signer d'un geste las. 'Qu'est-ce qu'on signe comme conneries, c'est incroyable ! Des condoléances, des félicitations, des remerciements, même pas un décret. Et le dalaï-lama. Il faut vraiment répondre au dalaï-lama ?'. Il s'interrompt après une dizaine de signatures, il relève la tête, il réfléchit, il se balance dans son fauteuil en cuir rouge". Le plus savoureux est sans doute dans le propos d'un assistant parlementaire contraint par son député d'imiter sa signature "pour montrer qu'il est humain et proche de ses électeurs" . Le problème, c'est qu'un jour des huissiers ont averti le député en question d'une imitation de sa signature alors même que c'était lui, pour une fois, qui avait signé un courrier. On imagine la tête des protagonistes. Que dire ? Quoi comprendre ?
C'est bien là le cœur de cet ouvrage qui, après une partie historique sur l'essor de la signature en politique, traite successivement de la délégation du droit de signer, de la gestion en interne de la signature et enfin de la signature comme contrainte... plus ou moins bien gérée par les intéressés. Ainsi, elle sert parfois à éprouver publiquement de la fierté alors qu'en réalité la décision appartient bien peu à son propriétaire. Elle se retrouve aussi dans le jeu démocratique puisque de séduire il s'agit et conserver les voix aussi, alors autant signer pour les bonnes nouvelles et laisser endosser par « les services » les mauvaises. A ce propos, l'auteur serait bien inspiré, il aurait certainement du succès, de rédiger une sorte de petit manuel de l'usage de la signature à destination des élus et autres décideurs. Ou alors devrait-il, si cela n'est déjà fait, prodiguer en la matière des conseils individualisés et certainement bien rémunérés. Car l'un des enseignements de ce travail est également la variété des usages de la signature, bien entendu dans le cadre qui reste celui du droit. Ainsi, la gestion de ce détail qui est loin d'en être un diffère selon les époques, les régions, les personnalités et les collectivités : "(…) dans les mairies, il est rare de voir un courrier de refus signé par un directeur administratif, ne serait-ce que parce que le lien entre l'électeur et l'élu est plus concret" .
En définitive, si elle demeure à juste titre un symbole manifeste de pouvoir et d'autorité, force est donc de constater que la signature et ses diverses manipulations signent à leur tour le caractère collectif des décisions administratives et des politiques publiques. Cela amène l'auteur à la réflexion suivante, qui nous laisse toutefois sceptique quant à la résolution du problème soulevé : "(…) il ne serait pas absurde d'imaginer une responsabilité partagée : puisque les élus sont responsables devant les électeurs et que les collaborateurs de cabinet sont responsables devant leur patron, pourquoi les fonctionnaires ne seraient-ils pas susceptibles d'être sanctionnés en cas de faute plutôt que protégés par un statut les protégeant des vicissitudes professionnelles ?" .
Si les entretiens, anonymisés, ce qui s'entend d'un côté mais reste gênant de l'autre, datent un peu , cela n'enlève rien à la qualité et à l'intérêt de ce livre. Doté d'un grand nombre de références bibliographiques en bas de page et d'une bibliographie générale, il devrait donc retenir l'attention d'un large lectorat, aussi bien des chercheurs en management public qu'en histoire. Ou le "simple citoyen" qui y trouvera autant matière à effroi (désenchantement lié à la démythification) qu'à réjouissance : si la démocratie, c'est ça, alors signer tout de suite car il paraît que, bon an mal an, c'est le moins mauvais des régimes. Et point n'est besoin de répondre au dalaï-lama pour être convaincu de cela