Dans son autobiographie, le musicien gallois revient sur son expérience au sein du Velvet Underground, mais livre aussi un regard désabusé sur Lou Reed et Andy Warhol. 

L’autobiographie de John Cale, What's Welsh for Zen?, fait partie d’une maquette plus large où photos, paroles de chansons, dessins et témoignages sont superposés à côté du texte. Son titre souligne d'emblée, avec humour, le parcours spirituel d'un musicien qui vient de loin. 

John Cale nait le 9 mars 1942 dans une famille Galloise de classe moyenne. Il met, dès ses premières pages, son témoignage en parallèle avec la vie du chanteur et musicien Lou Reed: "J’ai toujours dit qu’il avait une longueur d’avance sur moi !".
Le ton de l’autobiographie est donné : elle alterne subtilement entre le récit de collaborations musicales créatrices et celui de ruptures affectives et professionnelles. L’autre dimension de ce récit apparaît comme celle du témoignage d’un musicien ouvert sur quatre décennies d’influences, de celle de la figure généreuse et directrice d’Andy Warhol, à celle d’un orchestre britannique. Avec en toile de fond, tout au long de son parcours, la présence de Lou Reed. 

 

Les années Velvet Undergroud (1965-1970)

Cale fait la rencontre de Lou Reed au début des années soixante à New-York, à l’aube de leur vingtaine. En 1965, grâce a un réseau d’amis de lycée, Sterling Morrison, guitariste, et un peu plus tard Maureen Tucker, batteuse, les rejoignent pour former The Velvet Underground. Le nom du groupe viendra du titre d'un livre érotique, croisé au détour d'une soiree. Par leur rencontre avec Andy Warhol à l’été de la même année, ils sont projetés sur le devant de la scène underground new-yorkaise. 

Andy Warhol et sa Factory fascinent, et bouleversent sur leur passage : Warhol, figure majeure d'une nouvelle forme d'art, le pop art, ainsi que de films underground new-yorkais, déambule en soirée avec sa clique d'artistes. Il propose un contrat au Velvet, une opportunité en or pour n'importe quel musicien: la possibilité de composer dans un grand confort matériel, bien au-dessus de leurs moyens. Warhol, d’après Cale, apparait comme ce "père bienfaiteur" qui, soucieux du bien-être de ses protégés, leur apporte l'assurance de n'avoir à se soucier de rien: l'organisation des concerts ainsi que la gestion du matériel sont prises en main, du moment que leur créativité fait sensation. Dès le deuxième jour de l'entrée du groupe dans son univers, dans lequel ils paradent, fiers de leur nouveau statut, Warhol leur présente Nico, une diva allemande pour laquelle Bob Dylan aurait écrit. Il décide qu'elle sera la chanteuse du groupe, meme si Lou Reed prend rapidement le dessus.

En même temps, Cale fait preuve d'une certaine naïveté quant à la gestion de ses revenus: même si Warhol s'avère être une personne de confiance, percu par la plupart comme un "généreux manipulateur", un homme qui semblerait diriger subtilement, et ce pour l'intérêt commun du groupe, des tensions naissent rapidement entre les deux fortes têtes du projet : celles de Warhol et de celui qui s'autoproclame comme le leader du groupe, Lou Reed. L'équilibre du Velvet s'en retrouve fortement menacé, en particulier quand Reed décide de virer Warhol. Le Velvet aurait souffert de son absence au fur et à mesure que leur musique n'obtenait pas la reconnaissance sur laquelle il avait initialement misée. A cette prise de décision solitaire s'ajoutent de fortes tensions entre Reed et Cale, des désaccords en matière de création. Ainsi que de fortes rancoeurs. 
 

De par des alliances disparates et irréfléchies, Cale décrit dans son autobiographie le manque d’autonomie dont il fait preuve à ses débuts dans le groupe. Il s'agit de faire avec l'humeur du jour de Reed, souvent imprévisible. Les plus grandes critiques de Cale lui sont destinées : selon lui il est clairement à l'origine de son éviction du groupe. Il est aussi, toujours selon son interprétation des évènements, à l’origine du disfonctionnement de ce groupe prometteur (John est en effet un jour évincé d'une tournée, selon un ultimatum implicite. Apres que Reed ait changé de manager aux dépens de Warhol, le groupe part à la derive, pour finalement se dissoudre). 
Pour John Cale, une nouvelle ère s'ouvre. 

De la gestion de soi à la pensée orchestrale 



Cale met beaucoup d'années à trouver cet épanouissement auquel le titre de son autobiographie fait hommage. De grandes tensions intérieures à une forme d'équilibre spirituel, celui auquel le terme "Zen" fait référence, la distance est grande. Car Cale souffre d'une grande dépendance à l'héroïne, qui manque plusieurs fois de le faire sombrer dans une grande perte de contrôle. Elle aura eu un rôle majeur dans sa période auprès des Velvet, lui permettant, selon lui, de créer avec brio les lignes de basse bourdonnantes de ses arrangements. 
 Après son éviction du groupe, il décide d’entamer une carrière solo à New-York. Il se met à écrire les paroles de ses propres compositions, en prenant pour exemple, paradoxalement peut-être, le talent de Lou Reed. Reed, tellement critiqué pour sa personne, est aussi grandement admiré du musicien pour sa facilité d’expression. Puis John se met à collaborer avec Nico, lui permettant de produire son premier album. Il participe aux arrangements sur le premier album de Patti Smith, Horses, et travaille avec un jeune Iggy Pop dans son groupe The Stooges. 


La naissance de sa fille Eden, issue de son deuxième mariage, lui permet de trouver une vraie forme de stabilité. Il déclarera connaître sa plus belle collaboration avec elle : c'est dans une transmission de père à enfant, dans la beauté d'une confiance qui nait et dans le souhait de réecrire l'histoire de sa propre famille, John Cale déplorant l'absence d'une vraie figure paternelle dans sa jeunesse, qu'il trouve enfin un équilibre, une vraie consistance. Il souhaite devenir un modèle pour Eden, et arrête brutalement toute consommation de drogue. 
 Il étend ses collaborations à une échelle beaucoup plus large : l'influence des paroles de l'autre devient, à l'inverse de l'époque de sa création avec Reed, un apport personnel plus qu'une remise en question sous forme de rivalité. Il rend hommageàa Dylan Thomas dans les années 90, dans un orchestre britannique. Une reformation, brève, des Velvet a lieu à cette même période : l’épanouissement du groupe s'avère être aussi complexe qu'à ses débuts. 
 

D'une fougue mêlant provocation, passion et goût du subversif à l'atteinte d'une certaine forme de sérénité, le parcours de John Cale est long. 
Il aura été agrémenté d'une plume introspective : des évènements de son histoire sont reconsidérés, dans des prises de conscience qui semblent être les points culminants d’une réflexion parfois mordante pour autrui, dure pour Reed. 

Riche de l'empreinte d'une époque aux artistes prolifiques et de plus de trente ans de collaboration avec des personnes qui ont marqué l'histoire du Rock, dans ses formes inhabituelles, What's Welsh For Zen est une maquette haute en couleur, une prise de vue hors du commun sur le parcours spirituel d'un grand musicien