Freidoune Sahebjam rassemble des témoignages de la "barbarie islamique" à travers le Moyen-Orient, dans un ouvrage dont il est difficile de deviner les intentions.

"L’homme est né libre, et partout il est dans les fers". Cette célèbre phrase de Rousseau, qui inaugure Le Contrat Social, pourrait servir d’exergue à l’ouvrage de Freidoune Sahebjam, qui rassemble ici des histoires survenues au Liban, en Iran, en Irak, en Asie centrale, en Tchétchénie, en Afghanistan, au Pakistan entre les années 1980 et 2000. Partout, la justice islamique s’y exerce avec autant de rigueur que d’absurdité.

Pendant la guerre contre l’Irak, un enfant de douze ans qui a tenté d’échapper à la conscription est publiquement renié par sa mère à la télévision nationale, avant d’être pendu en place publique. Les pasdaran   imposent leur loi au Liban chiite, tranchant des mains en vertu de la loi islamique. Les talibans pendent un pauvre diable dont le seul tort est d’être naturellement imberbe. Un autre se fait briser la nuque pour avoir possédé un gramophone. Un mollah fait irruption dans un village célébrant le Nowrouz, tradition immémoriale désormais interdite, puis entreprend de punir un couple avant d’être lynché par la foule. Un bahâ’i   et un juif iranien   sont condamnés à mort. En Irak, l’armée de Saddam détruit méthodiquement l’habitat des chiites du Sud, rasant des villages entiers. Ce ne sont que quelques-unes des histoires atroces qui émaillent l’ouvrage. Toutes ont en commun une invraisemblable férocité qui, sous les apparences d’une justice administrée au nom de Dieu, révèle une profonde corruption.

La perplexité des victimes devant le sort qui leur est réservé est particulièrement frappante. Leur seul tort est de s’être trouvées au mauvais endroit, au mauvais moment, et d’avoir ignoré les prescriptions d’une justice parfois en contradiction avec les traditions les plus ancrées. Les juges autoproclamés viennent en général de l’extérieur, qu’il s’agisse des pasdaran iraniens en terre libanaise ou des talibans nouvellement installés, et prétendent imposer une loi dont personne n’a entendu parler. Le caractère lointain, avide et surtout imprévisible du pouvoir rappelle fortement les âges les plus obscurs de l’Orient islamique.

Freidoune Sahebjam indique dans la postface de l’ouvrage comment ces histoires ont été recueillies. Il est cependant difficile d’identifier l’intention qui préside à l’entreprise. Le titre, reprise d’une phrase peinte sur le mur d’un village afghan, souligne bien que la "justice" administrée en Iran, en Afghanistan, au Liban, soit les amputations, les exécutions sommaires, ne constitue qu’un dévoiement des enseignements du Coran. Comme pour illustrer ce propos, en exergue de chaque chapitre figure une citation particulièrement belliqueuse du Coran ("Lorsque les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles partout où vous les trouverez", peut-on lire au début du chapitre 5). Or, si l’auteur dénonce "le règne inique et sanglant des islamistes", en quoi peut-on rapporter l’extermination des chiites des marais par la Garde nationale de Saddam Hussein à ces mêmes islamistes ? De même, les crimes d’honneur et les vendettas relatés dans les deux chapitres intitulés "L’honneur de la famille" relèvent bien davantage de la coutume tribale que de la loi islamique, qui les a souvent combattus. C’est pourquoi les chapitres les plus forts demeurent ceux qui dénoncent les abus d’un pouvoir politique se réclamant de Dieu, en Iran ou en Afghanistan.

L’auteur a manifestement voulu susciter une saine indignation contre l’injustice en terre d’islam. Que faut-il en conclure ? Il y a fort à parier que la plupart des lecteurs en retireront l’idée que, décidément, le Moyen-Orient est une contrée d’ignorance et de fanatisme. Maxime Rodinson, spécialiste – marxiste – des civilisations arabes mort en 2004, affirmait qu’en tant qu’anthropologue, il n’avait pas à éprouver de sympathie ou d’antipathie pour l’islam. Une telle distance semblerait plus que jamais salutaire, à une époque où l’on s’acharne à condamner ou défendre cette religion.



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Crédit photo: www.flickr.com/ "rogiro"