Une tentative manquée pour comprendre la ''jeunesse'' à travers ses pratiques festives.

Les jeunes, les jeunes, et les jeunes. Selon Monique Dagnaud, il y a ceux qui sortent peu, ceux qui sortent moyennement, et ceux pour qui la fête devient un véritable mode de vie. Cette tendance à l’excès, "phénomène émergeant où résident quelques-uns des symptômes les plus préoccupants du désordre des générations", constitue l’objet de cet ouvrage.

Quel sens, se demande l’auteur, revêt cette préoccupation de la fête comme réel "art de vivre" ? Alors que chez leurs aînés, la fête était un moment (soi-disant) signifiant et liant socialement, pourquoi certains jeunes ont-ils le goût des sensations extrêmes : musique forte et défonce, conduites à risques et comportements excessifs ? Dès les premières lignes, on retrouve cette crainte ancestrale des comportements juvéniles. Socrate, au Ve siècle avant J.-C., s’en inquiétait déjà : "Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge." Rien de nouveau, donc, à part une parution aux éditions du Seuil, en 2008.


Cerner les "jeunes" par le prisme de la fête

Afin d’étudier ce "symptôme", l’auteur choisit comme échantillon d'une vaste enquête qualitative l’ensemble des jeunes qui s’adonnent souvent – selon une échelle de valeur non explicitée – aux plaisirs de la fête. S’y trouvent ainsi recoupés, dans la même catégorie, les amateurs de rave party, de boîtes de nuit, de soirées étudiantes, qu’ils soient squatters, étudiants, ou jeunes travailleurs, mis côte à côte dans des petites citations éparses. Ce qui amène Monique Dagnaud à affirmer, à l’encontre de toutes les recherches sérieuses effectuées en sociologie sur le sujet, que la fête "transcende donc les clivages sociaux de la jeunesse". Deux ensembles de sources bibliographiques appuient ce tableau : les sondages d’opinions, censés représenter les comportements "moyens" des jeunes, et la littérature sur la post- ou hypermodernité, censée informer sur l’état d’esprit général de la population. L’ouvrage se caractérise donc par une grave carence en termes de construction d’objet : tout le monde dans un même bateau, une enquête qualitative mal présentée, une globalisation irritante de la "jeunesse", d’autant plus agaçante pour un lecteur, qui, comme moi, fait partie de cette génération soi-disant décrite.

Cette remarque pourrait toutefois paraître déplacée : car le but de l’ouvrage est avant tout de produire une "peinture sociale" générale sur la "jeunesse" d’aujourd’hui. La fête serait un prisme, au travers duquel on pourrait comprendre la culture actuelle des "jeunes". Et je mets "jeunes" entre guillemets parce qu’à ce niveau on ne sait plus trop de qui on parle précisément.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas chez "les jeunes", selon Monique Dagnaud ? On pourrait résumer le fil conducteur de l’ouvrage de la manière suivante : les pratiques festives juvéniles extrêmes n’ont pas de sens. Elles n’ont pas de signification sociale crédible (par exemple un repos bien mérité après le travail), ni même de caractère subversif réel, contrairement à la génération de l’auteur. Car, me dis-je, il est en effet beaucoup plus constructif de danser sur du Claude François à la fête annuelle de son entreprise ou de communier spirituellement avec Jimmy Hendrix sous LSD. Merci aux générations précédentes pour leur projet social.

Ce qui irrite le plus, c’est l’acharnement à démontrer ce non-sens, quitte à utiliser des arguments franchement bancals, notamment sur le rapport à la politique. Par exemple, l’auteur remarque que ses interrogés promeuvent une morale individuelle marquée par des valeurs fortes : la responsabilité, la justice, l’autocontrôle. Mais, continue-t-elle, la promotion parallèle de l’évasion dans la fête et les drogues rend cette morale peu crédible : "Cet exemple rend compte d’un processus psychologique souvent rencontré : une lucide connaissance des termes et des conditions de la raison qui, pourtant, parallèlement, n’interdit pas toutes les déraisons." J’avoue ne pas comprendre en quoi faire la fête, même à un rythme intensif, exclut une éthique de la responsabilité ; ces "jeunes" ne tuent pas, ne volent pas, n’insultent personne, ne font pas de plans sociaux, ne larguent pas de bombes sur des populations civiles… Autre exemple, il est affirmé que, si les "jeunes" sont favorables à l’idée européenne, ils se sentent peu concernés en réalité car peu ont voté au référendum sur la constitution. Sources de l’argument : entretiens qualitatifs à peine cités et sondages. Sont ainsi confondus l’intérêt pour l’Europe et le vote pour une constitution illisible et déjà écrite, ce qui ne revient pas au même ! Morale de l’histoire : malgré les résultats de ce vote, majoritairement contre la constitution, aucune réelle remise en cause n’est survenue. La vraie question se poserait plutôt en ces termes : dans le cas d’une démocratie tronquée, faut-il reporter la responsabilité sur ceux qui ne participent pas ?

D’autres sujets sont passés en revue : le rapport des "jeunes" à leur famille, aux médias, etc., mais là je préfère préserver le mystère. Toutefois, juste un point peut-être, très surprenant : il paraîtrait que la jeune génération actuelle soit fille de mai 1968, ayant fait "ses premiers pas dans une maternelle repeinte aux couleurs de Summerhill et de Ivan Illich"… La tendance de l’Éducation nationale à l’autogestion et au communisme libertaire m’aurait-elle échappé ?


La fête et le fonctionnement social actuel

Venons-en aux conclusions. L’interprétation principale de l’auteur quant à la (non) signification des pratiques festives juvéniles relève d'idées générales sur le fonctionnement social actuel. La fête, dans une forme radicale, est vue comme une réaction au passage peu clair vers le statut d’adulte, aux promesses non tenues du système scolaire, aux difficultés à entrer sur le marché du travail, à la complexité d’avoir une identité stable dans une société "postmoderne"… S’il est intéressant que l’auteur fasse ce lien entre structure sociale et pratiques festives, on peut regretter qu’elle ne l’établisse que par des considérations très globales, sans s’attacher de plus près à la manière dont ce lien est formulé dans le vécu des interrogés.

Et on en revient aux mêmes lacunes, alors je me répète : une même tranche d’âge à une époque donnée ne vit pas forcément la même chose, selon son sexe, son milieu social, son lieu d’habitation, etc. C’est la base de la sociologie. Par conséquent, on ne peut faire de conclusion sur un groupe si hétérogène, les "jeunes".
 
La lecture de cet ouvrage pose donc moins la question des pratiques festives juvéniles que celle du regard porté par la génération précédente sur ces pratiques. Décevant par ses méthodes d’enquête peu rigoureuses et ses postulats hâtifs, je crains qu’elle ne laisse le lecteur – surtout le "jeune" lecteur – sur un sentiment d’injustice et d’incompréhension : car la "jeunesse" actuelle, même la plus décadente, la plus désenchantée, cache derrière des apparences parfois maussades une diversité et une richesse qu’on ne peut imaginer en restant au stade de la généralité, et des clichés faciles. Mais encore faudrait-il s’y pencher d’un peu plus près.


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Crédit photo : pikkus / flickr.com