Xavier Follebouckt remet en perspective les quatre conflits dits « gelés » (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud et Nagorno-Karabakh) et en donne les clefs de comparaison.

Vingt ans après la chute de l’Union soviétique, un certain nombre de « conflits gelés » continuent de faire surface irrégulièrement dans les colonnes des journaux et sur les écrans au gré des crises qui les agitent, comme celle de l’été 2008 entre la Russie et la Géorgie. Vladimir Poutine a déclaré récemment que l’entrée des armées russes en Ossétie du Sud et en Abkhazie avait été planifiée depuis plusieurs années. Cela a semblé choquer une partie de l’opinion publique, mais c’est oublier le rôle central que joue depuis 1991 la Russie dans le Caucase sud. L’ouvrage de Xavier Follebouckt vient opportunément donner une perspective historique et sociologique à cet ensemble de quatre conflits (Ossétie du Sud, Abkhazie, Nagorno-Karabakh et Ossétie du sud) qui pose à la fois la question du statut international de la Russie, de l’influence européenne et des Etats non reconnus dans les relations internationales.

Tout d’abord, l’enquête de Xavier Follebouckt tente de donner un cadre historique à cet ensemble de quatre conflits. Et c’est un défi en soi puisque les contextes caucasiens et moldaves sont très différents, mais aussi parce que l’histoire est perpétuellement mobilisée par les acteurs régionaux (régions séparatistes, Etats centraux, puissances régionales) en faveur de leurs revendications. Les deux régions sont néanmoins liées par leur héritage impérial russe puis soviétique, après de très courtes indépendances dans les années 1920 dans le Caucase. La problématique de ce double héritage et du conflit entre reconnaissances des frontières issues de l’URSS et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes tisse la toile de fond de ces quatre conflits.

L’auteur remet en perspective la période cruciale de la parade des nationalités en URSS au milieu des années 1980 et les effets du fédéralisme soviétique sur la construction des nationalités et des revendications en Transnistrie, en Abkhazie et en Ossétie. Il permet ainsi de comprendre quelles sont les bases territoriales et institutionnelle de ces conflits entre un Etat central (la Moldavie, la Géorgie ou l’Azerbaïdjan) qui entend rétablir le contrôle sur la totalité de son territoire issu de l’URSS et des régions séparatistes qui se revendiquent d’un autre Etat (spécialement l’Ossétie du Sud avec la Russie et le Nagorno Karabakh avec l’Arménie) ou qui entendent jouir de leur propre souveraineté (particulièrement la Transnistrie). Les dynamiques internes spécifiques sont habilement soulignées, démontrant à quel point les questions socio-économiques peuvent aussi avoir un impact important, au-delà des simples revendications identitaires. Ainsi, la Transnistrie a cultivé son autonomie autant pour des raisons linguistiques qu’économiques puisqu’elle produit en 1989 « la totalité des machines électriques ou des transformateurs d’énergie » et concentre 96% de l’industrie textile, produit 87% de l’électricité et 56% du ciment   tout en couvrant seulement 15% du territoire de la République de Moldavie. La réflexion pourrait ici se poursuivre par un débat sur les conditions nécessaires à l’émergence de ce type de conflits puisque les Etats baltes partageaient un certain nombre des caractéristiques caucasiennes et moldaves dans les années 1980.

L’ouvrage revient sur les facteurs historiques et économiques de ces séparatismes et permet de poser la question de la définition de l’Etat dans le monde contemporain. En effet, si l’on se réfère aux théories sociologiques classiques, on constate que ces quatre régions ont acquis le contrôle de leur territoire dans les guerres les opposant à leur capitale entre 1991 et 1994. Par ailleurs, leurs systèmes politiques sont relativement stables, même si on ne peut pas les qualifier de démocratiques. Notons ici que les Etats dont ils se sont séparés de facto connaissent, eux aussi, une difficile transition ou le maintien d’un régime très autoritaire comme en Azerbaïdjan. La question centrale est ici donc moins celle des critères formels de l’Etat que celle de la reconnaissance internationale. A partir de ces quatre exemples, c’est en effet une question plus générale qui est posée et que l’on peut appliquer au Kosovo. Celui-ci met d’ailleurs la Russie dans une position délicate puisqu’elle ne reconnaît pas le Kosovo mais qu’elle reconnaît l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Idem pour la majorité des Etats européens qui occupent la position opposée.

Un second questionnement issu de la lecture tourne autour du rôle de la Russie dans ces deux régions. D’une part, l’auteur démontre bien comment les troupes russes stationnées en Transnistrie ont pu jouer leur propre partition dans les années 1990, mais on pourrait aller plus loin et poser la question de l’unicité de l’acteur russe dans la décennie suivant la chute de l’URSS. D’autre part, il apparaît évident que cet « étranger proche » de la Russie a été le lieu de la compétition entre le Ministère des Affaires étrangères mené par un Kozyrev très proche des milieux occidentaux, et le Ministère de la Défense mené par un Gratchev plus soucieux des «  compatriotes  russophones  », de l’influence russe dans son voisinage et des débouchés pour le complexe militaro-industriel. L’étranger proche est donc un lieu de rivalités entre Etats centraux et entités sécessionnistes, mais aussi de liens entre acteurs locaux et russes. Comment expliquer autrement, par exemple, la participation de premier plan de généraux russes à la vie politique transnistrienne ou les liens entre Caucase sud et Caucase nord dans lequel la Russie rencontre elle-même dans la même période des conflits sécessionnistes (Tchétchénie) ?

Enfin, l’émergence d’un nouveau « Grand jeu » entre Union européenne et Russie, mais dans lequel l’Iran et la Turquie jouent un rôle central est mis en question par la persistance des « conflits gelés ». C’est un « voisinage partagé » qu’il convient de prendre en considération : l’Union européenne a-t-elle les moyens et les instruments de son ambition dans cette région ? Comment la transformation des relations entre l’UE, la Russie et la Turquie à propos de l’Iran et de la Syrie peuvent avoir des impacts sur le Caucase  ?

L’ouvrage permet de situer certains de ces enjeux par les cartes qu’il met à disposition. On regrettera pourtant qu’elles ne soient pas plus nombreuses pour donner la dimension régionale de ces questions en signalant les bases russes, les alliances conclues par certains de ces pays ou la présence de troupes internationales (OSCE, UE). Néanmoins, le livre de Xavier Follebouckt est une excellente introduction aux problématiques du voisinage russe qui devrait permettre d’aller plus loin sur les questionnements autour de ces conflits d’un type spécifique.