"Je suis un des écrivains français les plus détestés. Position intéressante, qui fait de moi un être d’exception",  expliquait Richard Millet dans L’Antiracisme comme terreur littéraire (2012). Ecrivain prolifique et éditeur reconnu chez Gallimard ((on lui attribue la publication des Bienveillantes de Jonathan Littell et de L’art français de la guerre d’Alexis Jenni), Millet a voulu se rendre exceptionnel au point de publier un Eloge littéraire d’Anders Breivik, le tueur d’Oslo.

Il s’agit d’un appendice de dix-huit pages à Langue fantôme, paru aux Editions Pierre-Guillaume de Roux le 22 août – soit deux jours avant le verdict qui condamnait Breivik à 21 ans de prison, la peine maximale en Norvège. Dans un style véhément, Richard Millet présente le criminel Anders Breivik comme "le signe désespéré, et désespérant, de la sous-estimation par l’Europe des ravages du multiculturalisme". Et d’ajouter : "Dans cette décadence, Breivik est sans doute ce que méritait la Norvège". "[Il] est, comme tant d'autres individus, jeunes ou non, exemplaire d'une population devant qui la constante dévalorisation de l'idée de nation, l'opprobre jeté sur l'amour de son pays, voire la criminalisation du patriotisme, ouvrent un abîme identitaire (...)".

Selon Le Monde, "même les maîtres à penser de l'extrême droite ne se sont guère aventurés à commenter les massacres perpétrés en Norvège". Gallimard se retrouve accusé de cautionner les dérives idéologiques d’un de ses éditeurs importants. Si Antoine Gallimard ne s’est pas encore prononcé sur cette affaire – en 2008, il déclarait qu’il ne publierait plus de livres comme L'opprobre. Certains auteurs de la maison ont cependant vivement réagi. Selon Tahar Ben Jelloun, "cet éloge risque de poser un problème au comité de lecture" tandis que Jean-Marie Laclavetine se dit "chagriné" par "cette dérive étrange et très inquiétante". Annie Ernaux quant à elle pose le problème plus globalement : "la question d’une réaction collective est maintenant posée à tous les écrivains Gallimard".

Si l’écrivain fait l’éloge d’Anders Breivik en le présentant comme "à la fois bourreau et victime, symptôme et impossible remède", pourquoi le terme "littéraire" s’est-il trouvé glissé dans le titre de son éloge ? En prenant quand même le soin de condamner la tuerie d’Oslo, Richard Millet justifie ce parallèle en se disant "frappé de la perfection formelle" des actes commis par Anders Breivik et en soulignant "leur dimension littéraire". Sans doute l’exercice de style vient-il donner un cadre confortable à la provocation