Les récentes déclarations de la ministre de l’Economie numérique Fleur Pellerin   , à propos de la net neutrality, ont créé un certain malaise dans la petite communauté du Web français. Certains, comme Fabrice Epelboin, sont même allés jusqu’à pronostiquer une "mise à mort de la neutralité du net".

D’une part, les propos ont surpris par leur imprécision, Fleur Pellerin semblant confondre la net neutrality avec une sorte de péréquation tarifaire interdisant la discrimination entre les "citoyens" gros consommateurs de bande passante   et les autres. Surtout, en critiquant la composante "américaine" de la neutralité du réseau, la ministre de l’Economie numérique a ouvert la porte à une remise en cause du modèle actuel, pas assez protecteur des intérêts économiques français.

La neutralité du réseau garantit en fait "l'égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet". Concrètement, cela signifie que les fournisseurs d’accès à internet (FAI) ne peuvent pas discriminer selon les types d’usages, par exemple en bridant les services très gourmands en bande passante, comme les sites de partage de vidéo. Ainsi, la neutralité du réseau positionne de facto la création de valeur économique en bout de chaîne, sur la consommation de services ou de contenus en ligne , faisant des infrastructures techniques un lieu "neutre" où ne se génère pas l’essentiel de la richesse. Autrement dit, en neutralisant la valeur du réseau, offert à tous sans discrimination, l’activité de transport des données est vidée de son importance, au profit de la vente et de l’exploitation de ces données (applications, services, jeux, images…). Or, force est de constater que les industriels américains disposent d’une avance considérable en matière de services en ligne (Apple, Google…) et de contenus (Hollywood), alors que la France dispose surtout d’industries de réseau puissantes. De la à penser que le patriotisme économique va désormais rimer avec la mise à bas de la neutralité du réseau, il n’y a donc qu’un pas à faire.

Pourtant, cette levée de bouclier mérite d’être relativisée. D’abord parce que les propos de Fleur Pellerin sont plus mesurés : elle évoque sa volonté de concilier les intérêts économiques européens avec ceux des internautes, et indique simplement son intention d’engager une réflexion sur la question. Surtout parce que la net neutrality est, en effet, un concept fort simple, mais aux implications systémiques complexes. Notamment, l’équité entre les acteurs n’est pas toujours garantie. Trouverait-on normal, par exemple, qu’un contribuable français dépourvu de voiture finance à grand frais des autoroutes utilisées essentiellement par des transporteurs étrangers, ne contribuant que peu ou pas à l’économie nationale, et lui vendant ensuite au prix fort leurs marchandises ? C’est en tout cas un débat légitime à engager, et il serait dommage de faire un procès d’intention à ceux qui s’y attellent.

Un débat légitime qui nécessitera cependant une grande vigilance de la part de l’ensemble des acteurs concernés, dans le contexte actuel où la volonté de contrôle du Web par les différents gouvernements est patente, et où les technologies d’inspection des données (DPI) font peser un risque indiscutable sur les libertés publiques