Crise économique, fatalisme ambiant, faibles marges de manœuvre, la victoire de François Hollande est-elle un cadeau empoisonné ?

Eric Dupin a battu la campagne de la fin de l’année 2011 jusqu’au 22 avril 2012 et livre le carnet de bord de ses pérégrinations. Son postulat est simple : l’espérance du changement a été galvaudée par la nécessité de changer. C’est le constat, un peu sévère, des rencontres qu’il fait durant la primaire socialiste, puis tout au long de la campagne officielle. Son ouvrage, La victoire empoisonnée, paru au Seuil en mai dernier reprend des témoignages, presque quotidiens, issus de ses rencontres à travers la France avec les hommes et femmes politiques, mais aussi avec les citoyens, militants ou non. Leur point commun est la conscience d’une situation sociale et économique exceptionnelle. Rarement le fatalisme a été aussi prégnant, rarement l’homme providentiel a été si peu attendu. Ce carnet de route démontre aussi combien cette élection est difficile à rapprocher d’une autre dans l’histoire de la Ve République, combien aussi la tâche sera difficile pour celui qui sera élu.

Etre le meilleur candidat

L’auteur rencontre à plusieurs reprises François Hollande durant la primaire. Le candidat confie que, dès 2009, il sait qu’il peut briguer la candidature socialiste et réussir contre celui qui, à ce moment, semble le mieux placé, Dominique Strauss Kahn : “là où j’ai vraiment cru en moi, c’est quand DSK était au firmament dans les sondages”. L’arrivée de Martine Aubry ne change rien à sa démarche, parce qu’il ne cherche pas à être le meilleur président mais le meilleur candidat pour battre le président sortant. C’est aussi l’analyse de nombreux militants. Chacun reconnaît à Martine Aubry sa volonté de changer les choses. Mais elle ne réussit pas, selon Dupin, à prendre une posture présidentiable. Cette volonté politique ne résiste pas à la volonté de gagner la primaire portée par le clan Hollande. Ce dernier sait qu’avant d’incarner la France, il faut incarner le projet socialiste, rassembler et mobiliser un électorat bien au-delà du parti. Face à la volonté politique, c’est donc la volonté de pouvoir qui l’emporte. Les militants et les citoyens choisissent celui qui sera à même de battre Nicolas Sarkozy, que chacun, à droite comme à gauche, reconnait comme bête de scène médiatique en campagne électorale.

Candidat officiel, François Hollande déroule la stratégie d’un président normal, rassembleur, apaisant. Il sait, dés la fin de l’année de 2011, qu’il a toutes ses chances. Ce n’est pas un excès d’optimisme. Les témoignages, à droite notamment, montrent à l’évidence que l’énergie développée par le président sortant s’est transformée en une impuissance à résoudre les problèmes qu’il s’était engagé à régler en 2007.

Citoyens et politiques lucides

La lucidité jalonne l’ouvrage, celle des candidats, des états-majors mais aussi des citoyens : “Même l’électeur le plus radicalisé est devenu lucide sur la marge de manœuvre”. Conséquence de cette clairvoyance : l’intérêt pour ce moment républicain est beaucoup moins marqué qu’en 2007. Dans la Drôme, l’Oise, la Nièvre, la Corrèze, l’Aube, l’Orne ou les Côtes d’Armor, partout l’auteur relate cette lucidité mais aussi le fatalisme ou la déception. Il ne retrouve pas durant les meetings socialistes l’euphorie et l’enthousiasme de 2007. Le calme et le sérieux, la retenue parfois, s’imposent, même dans les acclamations du candidat. A droite le doute s’installe dés l’entrée en campagne tardive de leur candidat. Chez celles et ceux qui ont voté pour lui en 2007 la défaite est souvent envisagée. La campagne du Président fait même douter d’anciens centristes de la solidité de l’UMP en cas de défaite. L’indécision est clairement de ce côté à six mois des élections. La mobilisation et l’euphorie ne sont pas plus marquées au sein du Front de gauche, ses militants redoutant la faiblesse de leurs moyens d’actions à terme. Enfin, du côté des écologistes, on n’y croit plus depuis pas mal de temps. C’est principalement chez les militants du Front national, décomplexés, que se trouvent l’engouement et l’espoir du changement. Ce sont aussi des citoyens décidés, dès le mois de janvier à voter pour leur candidate au contraire de bon nombre de citoyens qui ne savent pas un mois avant les élections où ira leur choix.

Le “Petit Père Hollande”

A la fin du mois de mars, il n’y pas plus de doute. François Hollande et ses plus proches collaborateurs savent qu’il sera élu. Ils savent que ce ne sera pas totalement grâce à lui mais aussi à cause de Nicolas Sarkozy. Ils savent qu’il n’y aura pas d’état de grâce et qu’il faut se garder de trop promettre dans une situation bien plus dramatique qu’en 1981.

Ce constat d’une défaite présumée et surtout de problèmes à venir soulève une question : François Hollande pourra-t-il être un bon président ? Saura-t-il décider ? Trancher ? Eric Dupin ne se risque pas à répondre et cherche plutôt la lignée politique de François Hollande, le chemin qu’il l’a mené ici, la stratégie qu’il construit et qui le construit. Il tente de saisir le lien avec la Mitterrandie et la logique d’adoubement entre l’homme de 1981, Lionel Jospin et François Hollande. C’est surtout dans la IVe république qu’il va chercher un modèle à travers la figure d’Henri Queuille, le corrézien, le “Petit Père Queuille”, symbole de la constance dans une IVème République vacillante mais aussi créatrice de nos grandes institutions d’après-guerre. Dupin conclut qu’il faudra indéniablement à François Hollande toute la rondeur et la ténacité de Queuille pour agir. Il lui faudra aussi la longévité, c’est-à-dire un deuxième mandat… !