Une sulfureuse biographie de Mick Jagger, la star aux quatre mille conquêtes, sort à l’occasion des 50 ans du groupe 

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le dernier livre de Christopher Andersen sur Mick Jagger porte bien son nom. Pas d’inquiétude, vous aurez votre (over) dose de révélations. Autant être prévenu : il s’agit moins d’une biographie à proprement parler que du recensement des exploits d’un des rockers les plus provocateurs de sa génération. Le tourbillon dans lequel nous entraîne Christopher Andersen s’apparente parfois un peu trop à la liste - une énumération d’exploits sexuels et de scandales plus ou moins retentissants dont la narration détaillée finit (presque) par lasser. Mick couche avec les filles à peine majeures de ses amis, Mick a une piscine intérieure réservée à l’usage exclusif de ses quatre chiens, le cuisinier de Mick a failli empoisonner la sœur de la reine d’Angleterre à coups de space cakes un peu trop chargés…

On pourrait rester sur l’impression que ce déballage sulfureux de la vie intime du chanteur relève du simple coup commercial, mais le livre représente tout de même plus que cela. D’abord parce que l’auteur suit les Stones depuis le concert d’Altamont en 1969   , soit depuis quarante-trois ans durant lesquels il a recueilli des centaines de témoignages sur le chanteur. Andersen a également le mérite de ne tomber ni dans l’hagiographie béate, ni dans le portrait à charge, un écueil difficile à contourner lorsqu’on s’attaque à une personnalité aussi ambigüe que celle de Jagger.


" Dans la tête de Mick Jagger, il existe une priorité suprême : Mick Jagger "  

L’essentiel des révélations du journaliste réside malgré tout dans la publication des noms des conquêtes de la star (Uma Thurman, Angelina Jolie, Mackenzie Philipps et des milliers d’autres, à en croire Jagger) et la description peu flatteuse du chanteur en véritable animal, insatiable, presque dangereux. Loin du mythe glamour du tombeur sans attache qui fait rêver les femmes, auquel il tenait tant, l’addiction du chanteur au sexe apparaît ici pathologique, totalement incontrôlable et sans limite. Incapable de rester fidèle ou d’essuyer un refus, il harcèle les femmes qui lui résistent et n’hésite pas à tout plaquer pour obtenir ce qu’il veut. Ainsi, en janvier 1992, il s’envole avec Carla Bruni pour la Thaïlande (l’auteur souligne à ce propos la jalousie qu’aurait encore aujourd’hui Nicolas Sarkozy pour Jagger, " l’homme aux mollets ridicules "), le lendemain de la naissance de sa fille Georgia May, et alors qu’il est encore avec sa femme, Jerry Hall. " A l’évidence, confesse simplement Mick, je ne suis pas un parangon de vertu. "
Andersen s’attarde aussi sur les conquêtes masculines du leader des Stones en confirmant grâce à ses " sources " (surtout des starlettes de l’époque) les rumeurs qui circulaient à propos de ses liaisons avec Eric Clapton, David Bowie ou encore Brian Jones   , à une époque où il était de bon ton d’afficher sa bisexualité - réelle ou feinte.

Derrière le pseudo-rebelle, il y a également le businessman, le tacticien. Redoutable en affaires selon les experts financiers qui l’ont côtoyé et conseillé pendant toute sa carrière, Jagger, rappelle Christopher Andersen, a suivi assidûment les cours de la London School of Economics pendant sa jeunesse. Tandis que Keith, Brian et les autres font les pique-assiettes, s’incrustant dans les soirées, Mick révise et dîne au restaurant. Plus tard, alors que la planète entière est convaincue que les Rolling Stones et les Beatles – les bad boys et les Fab Four   , les répudiés et les chouchous de la reine – se détestent, conviction qu’ils alimentent du mieux qu’ils peuvent, Jagger et Lennon s’entendent en fait comme larrons en foire et calculent ensemble à quel moment ils sortiront tel titre en fonction de leurs intérêts respectifs.
Sur scène, Mick est le contestataire qui se proclame sans complexe " contre la propriété privée " qui selon lui " devrait être abolie " ; la panoplie de rocker ôtée, il réalise des placements plus que judicieux grâce auxquels, entre autres, il aurait amassé une fortune de 400 millions de dollars. Comme le souligne laconiquement Keith Richards: " Je dois lui reconnaître ça : ce petit con est malin ".


Shoot off your mouth

Andersen revient d’ailleurs longuement sur la relation d’amour-haine entre les deux hommes et notamment sur cette période improbable de la fin des années 80. A l’époque, Mick et Keith se battaient à coups de singles injurieux enregistrés chacun de leur côté - cela donnera, entre autres, " You Don’t Move Me " pour Keith et " Shoot Off Your Mouth " pour Mick. Keith Richards ne digère pas que Mick ait lancé sa carrière solo à l’insu du groupe en déclarant à la presse: " Je n’ai plus 19 ans, les Stones ne sont pas mon seul intérêt dans la vie ". Ils se réconcilieront après de longues années, au moment de la tournée de Voodoo Lounge qui débuta le 1er août 1994 à Washington. Ils engrangèrent 320 millions de dollars, la plus grosse recette jamais réalisée, un record seulement battu par les Stones eux-mêmes quelques années plus tard avec Bridges to Babylon, en 1997   .
Keith Richards ne pardonnera cependant jamais tout à fait la trahison de Jagger. Les albums solo de Mick seront souvent qualifiés de bide par les fans et le gotha du monde de la musique, à commencer par Keith qui, peu charitablement, surnommera l'un d'eux “Dogshit in the doorway” (au lieu de “Goddess in the Doorway”, sorti en 2001).
De son côté, Mick gardera en travers de la gorge toutes les années où il a veillé sur " Keef " et tenu la barre quand Richards, complètement drogué, tenait à peine sur scène et menaçait la survie du groupe. Jagger envierait aussi la réputation de son ami, perçu, à tort ou à raison, comme un puriste du rock qui ne se laisse dicter sa conduite par personne, alors que le public finit par voir en Mick davantage une sorte de golden boy qu’un rebelle authentique. Cette image fut renforcée quand Tony Blair anoblit Jagger en 2002. Là encore, Keith Richards entra dans une fureur indescriptible, accusant Mick d’accepter les honneurs d’un système qu’ils avaient toujours conspué.

Toujours est-il que le 12 juillet 2012, 50 ans jour pour jour après le premier concert des Rolling Stones au Marquee Club à Londres, Mick Jagger, Keith Richards, Charlie Watts et Ronnie Wood posaient ensemble pour la photo. Et les monuments du rock, à soixante-dix ans, évoquaient, « peut-être », une nouvelle série de concerts .

Le livre d’Andersen, dont on émerge à la fois un peu étourdi, déconcerté et fasciné, ravira les fans " ultra " de Jagger, les fétichistes en quête du moindre détail sur la vie du chanteur. On peut toutefois regretter le côté trop people (et, par voie de conséquence, pas toujours clairement sourcé) du texte d’Andersen, qui crée déjà des remous outre-Atlantique, où certaines de ses affirmations sont qualifiées de mensongères par une ex-compagne de Jagger. Ce qui n’est un secret pour personne, c’est que les rumeurs les plus folles ont toujours alimenté le mythe des Rolling Stones, faisant partie intégrante de la stratégie commerciale du groupe pour se hisser en tête des ventes. Vraie ou fausse, la légende Jagger continue. Gageons qu’un scandale de plus, s’il risque de poser quelques problèmes à l’auteur, ne fera pas de mal à la réputation de Mick. Bien au contraire