Le rapport annuel de la CNIL met cette année en avant une "explosion" du nombre de plaintes, dans le contexte d’une "période exceptionnelle" en raison des mutations en cours. Un record d’activité qui témoignerait, selon sa présidente Isabelle Falque-Pierrotin, "de l'intérêt de plus en plus marqué des personnes pour la protection de leurs données et de la sensibilité de cette question à l'ère du numérique". Les principaux mis en cause dans ce rapport d’activité de 103 pages sont l’avènement de "l’écosystème numérique" et ses fameuses "données personnelles".


La presse a emboité le pas à cette interprétation, relayant d’une part la thématique du "record" (Le Monde) et de "l’explosion" (Les Echos), et d’autre part celle du "flicage" et du "droit à l’oubli" (Libération). Plus de 2750 retombées sont ainsi consacrées à ce sujet depuis 48 heures sur Google Actualités. Le sous-entendu général est clair : les internautes, de plus en plus connectés et échangeant de plus en plus d’informations en ligne, seraient en train de prendre conscience de la mise en péril de leur vie privée.


Pourtant, la lecture attentive dudit rapport permet de relativiser cette analyse. Tout d’abord, le nombre de plaintes reste extrêmement faible en valeur absolue : 5 738 plaintes reçues, avec une augmentation sur un an de quelques centaines de plaintes seulement. A titre de comparaison, le Médiateur de le République reçoit près de 90 000 plaintes par an, et par ailleurs plus de 20 millions de Français auraient un compte sur Facebook. Et parmi ces 5 738 plaintes, seules 30 % (1700 plaintes environ) concernent la question des données personnelles et du droit à l’oubli sur le Web. Ainsi, d’après la CNIL elle-même, la question de l’usage abusif des données reste en réalité encore largement une problématique du secteur marchand (fichiers publicitaires secteur de la banque et du crédit) et du monde du travail (avec notamment la question de la vidéosurveillance). Bref, des abus plus "traditionnels" et bien éloigné de la prétendue "mutation" des usages mise en avant par ailleurs.


Ainsi, on peut se demander dans quelle mesure l’empressement de l’ensemble de la presse à relayer cette vision "accrocheuse" mais parcellaire du rapport n’est pas avant tout révélateur d’une méfiance structurelle des médias à l’égard du Web social. Car si le combat pour la protection de la vie privée en ligne et la question du droit à l’oubli sont évidemment des chantiers cruciaux, il n’est pas sûr que les réponses se trouvent du côté de la CNIL, dont la juridiction ne s’étend pas jusqu’à Palo Alto