Les Roms en France ou la construction d’un racisme d’Etat face à l’immigration.
Une société, pour mieux faire corps, désigne souvent un bouc émissaire. Il porte le visage de l'étranger, de l'Autre, du barbare. Dans son ouvrage De l'utilité politique des Roms, Etienne Liebig s'attache à décortiquer le cas des Roms en France à l'été 2010, gardant à l'esprit cette question : à qui profite cette stigmatisation d'une population sur laquelle sont plaquées de nombreuses peurs, le plus souvent irrationnelles ?
Les Roms ont beau être citoyens de l’Union Européenne, ils sont pourtant perçus en France comme une population étrangère, marginale et dangereuse, selon le vieil adage "classe laborieuse, classe dangereuse" né au XIXeme siècle. L’installation des Roms en France est érigée dans l’action publique comme un problème majeur, auquel il faudrait apporter un remède. Pourquoi l’attention de l’opinion publique est-elle retenue par ces 10 à 12 000 immigrés, quand l’Etat doit faire face à des problèmes d’une toute autre ampleur ? Dans cet essai sur la perception des Roms en France, Etienne Liebig tente de mettre en perspective le poids de l’héritage racialiste de la pensée française et européenne dans les politiques migratoires du gouvernement. Au-delà de ce "racisme d’Etat", cet éducateur de rue propose une approche sociologique de la perception des Roms. Et s’attelle à "énoncer sans déconstruire" les nombreux clichés et autres prénotions qui constituent notre compréhension d’un Autre, le Rom. Dans son essai, il confronte le climat politique actuel et les schémas de pensée construits sur le temps long pour expliquer l’émergence de ce nouveau "danger de l’extérieur", identifié comme tel pour désigner un coupable, un responsable des maux du pays. La carrière d’éducateur de rue à Montreuil de l’auteur auprès de jeunes, Roms ou non, permet d’appuyer l’essai sur des témoignages. Une manière efficace de comprendre combien le terme "Roms" réunit des populations aux parcours et aux pratiques différentes, tout en conservant le recul et la prudence nécessaires à ce travail de remise en contexte.
Inconscient collectif
L'auteur offre une grille de lecture permettant d'expliquer "comment s’était construit un inconscient collectif autour de la personne du colonisé d’abord puis de l’immigré, définissant à la fois une politique et un comportement discriminant". Toutes proportions gardées, il établit un parallèle entre le massacre des Italiens d'Aigues-Mortes en 1893, et l'expulsion des Roms de France à l'été 2010. Deux actes de xénophobie en période de crise économique. Une explosion de violence pour effacer la frustration de ne pas trouver d'emploi d'un côté, l'organisation systématique de l'expulsion des Roms hors de France de l'autre. Pire encore, l'auteur identifie une nuance entre les deux phénomènes, affirmant que "les Roms roumains n'ont pas été perçus comme des immigrants économiques mais comme un fait social, un évènement médiatique, une invasion incontrôlée".
L'assurance d'un accueil difficile réservé à ces populations, et d'une intégration impossible.
Paradigme de l'immigré
Si le regard porté sur les Roms et le sort qui leur est réservé reste singulier, il témoigne aussi de l'histoire de l'immigration en France. Les références au spécialiste du sujet en France, Patrick Weil , émaillent l'essai. Ces travaux portent sur la relation entre immigration, pauvreté, maladie et
marginalisation sociale et économique. Ils remettent en perspective le traitement politique et médiatique du "problème Rom" en France, finalement dans la droite lignée des travaux hygiénistes du XIXeme siècle. Berceau de la sociologie, ce courant, mené par des médecins dont Villermé et ses Tableaux de l'état physique et moral des salariés en France de 1840 reste un des meilleurs exemples, inaugure une nouvelle conception de la société. Charge aux scientifiques de diagnostiquer les maux des classes populaires. Aux politiques l'exécution de ces conseils à travers les politiques publiques.
Le coupable idéal
Objet d’étude plus que citoyen actif, problème à traiter plus que population à aider, les Roms se voient dessaisis de leur identité et de leurs aspirations. Ce qui permet de comprendre comment l’Etat et la société civile s'emparent du destin d'une population, et la forcent à se soumettre au circuit bien établi des administrations, associations et autres formes d'organisations collectives. Dès la sphère universitaire, les Roms n’ont pas leur mot à dire sur leur identité, "les chercheurs et autres "tsiganistes" monopolisent le droit de définir les Roms, mais aucun d’entre eux n’est lui-même Tsigane". Le Rom est un parfait coupable avant tout car il est peu organisé dans la société pour s’exprimer et peser sur le débat public.
L’inconnu familier
A déplorer, le peu d’efforts engagés par l’auteur pour définir lui-même l’identité rom, et les groupes qui la constituent. Là se situe le coeur du sujet, tant l’appellation Rom fait écho aux fantasmes qui construisent notre perception du gitan : nomade, musicien, indiscipliné, magicien, agressif, voleur et ensorceleur. A la croisée des chemins de l'actualité et de l'Histoire, Etienne Liebig remet en perspective le rôle de l'Etat dans le traitement de ces populations via les politiques publiques, des médias dans la perception de l'arrivée d'une nouvelle génération de Roms, mais aussi des universitaires, de la culture populaire dans l'univers mental de chacun. Ces facteurs combinés construisent notre regard politique et culturel de citoyen français sur l'étranger en général, et le Rom en particulier. De Georges Buffon à Edouard Drumond, Etienne Liebig retrace le cheminement intellectuel et idéologique français dans la construction du racisme dont l'Etat s'empare ponctuellement dans l'Histoire, au gré des stratégies politiques