" Aller dans sa librairie préférée et découvrir que non seulement son livre  est référencé mais qu’en plus il est en tête de gondole ! #émotion – à Gibert Joseph " ; " Bravo @Untel qui me devance de 2 places dans le classement des influenceurs " ; " 300 000 vues, rire nerveux ". Si vous êtes un utilisateur régulier des réseaux sociaux, et que vous comptez dans votre entourage (ou plutôt, dans vos " amis " ou vos " abonnés ") des personnes plus ou moins en vue dans le monde des médias, du divertissement ou du numérique, vous avez certainement eu la joie de découvrir au moins une fois, dans votre fil d’actualités Facebook ou Twitter, une publication de ce type. En effet, ce comportement redondant, qui consiste à faire valoir (de manière parfois peu subtile) la qualité et l’étendue de son réseau auprès des membres même de ce réseau, se répand comme une traînée de poudre sur Internet. A tel point qu’une page de la plateforme de microblogging tumblr a été récemment créée pour recenser les manifestations les plus caricaturales et loufoques de ce que les créateurs de cette page nomment le personal branling, clin d’œil amusé au concept récent de personal branding   . Il apparaît effectivement que le personal branding prend tout son sens avec l’extension du pouvoir des réseaux sociaux dans la vie sociale et professionnelle de leurs utilisateurs : la présentation de soi à travers des profils stéréotypés, et les contraintes formelles imposées par ces réseaux  (pensons au maximum de 140 caractères sur Twitter), contribuent à placer tous les utilisateurs dans un même moule, à favoriser leur uniformisation, ainsi qu’à imposer une perception tronquée et schématique de chaque individu. Notons également la place importante des chiffres dans l’identité numérique des individus : nombre d’abonnés à une chaîne YouTube ou à un compte Twitter, nombre d’amis sur Facebook… Autant d’indicateurs chiffrés qui accentuent une présentation matérialisée de la personne. Cette perception schématique et stéréotypée aboutit à une réification des individus : chaque profil Facebook présente un individu sous le même angle que les autres, aboutissant à ce que l’ensemble des profils ressemble à un vaste étal présentant des objets de différent calibre, marque, couleur, qualité, etc. Il apparaît donc naturel, ou du moins justifiable, que le personal branding, qui consiste à appliquer aux individus des techniques de marketing utilisées pour les marques, soit favorisé par les logiques de présentation des individus induites par les réseaux sociaux.  De plus, dès lors que les individus (à l’exception de certaines personnalités politiques ou du show business) gèrent eux-mêmes leur profil sur les réseaux sociaux, le personal branding devient une pratique d’auto-promotion, ou d’auto-marketing. D’où le parallèle, habilement suggéré par le barbarisme franglais du tumblr Personal Branling, avec la pratique de la masturbation, au cours de laquelle l’individu est à lui-même une source de plaisir.

Ainsi, le web social apparaît comme un catalyseur des pratiques du personal branding et de sa dérive narcissique le personal branling. Un autre point mérite d’être relevé : le personal branding sur les réseaux sociaux procède d’une redondance, en ce qu’un utilisateur se mettra volontiers en avant par l’argument de son influence sur ces réseaux sociaux même. Les utilisateurs faisant appel à des « arguments de vente » extérieurs, comme leur expérience professionnelle (sauf si celle-ci est liée au Web 2.0) ou autres atouts qui pourraient être mentionnés, ne sont pas majoritaires. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont rien d’autre à faire valoir que leur nombre d’amis sur Facebook… Pourtant, il semble plus raisonnable de voir dans cette redondance autour de la réputation Web (« je dis que je suis populaire sur les réseaux sociaux afin de l’être encore plus ») la manifestation d’un fait récent et marquant : le Web 2.0, avec ses sites de partage et ses réseaux sociaux, est devenu un nouveau support de légitimation et d’autorisation (au sens littéral) des personnes, s’étendant même à la sphère professionnelle. On est loin de l’époque où « surfer sur Internet » n’était qu’un loisir vague, voire une perte de temps, en tout cas une activité nettement séparée des choses sérieuses, au centre desquelles figurait l’activité professionnelle. La popularité croissante d’un site comme Klout, qui permet aux internautes de mesurer leur influence sur les réseaux sociaux, est un symptôme de cette nouvelle autorité d’Internet. De même que le webmarketing est devenu indispensable au maintien de l’image des marques, l’étalage par les individus de leur popularité sur le Web, s’il est souvent maladroit et peut prêter à rire, est devenu un argument légitimant auprès d’éventuels employeurs, mais aussi et surtout de la masse des internautes qui, on l’a vu avec le phénomène du crowdfunding    et plus récemment des podcasteurs    , peuvent miraculeusement propulser vers le succès de parfaits inconnus qui parviennent à faire le buzz. Bien sûr, il convient de nuancer cette dernière affirmation, dans la mesure où le succès effarant de quelques électrons libre du Web n’est pas monnaie courante parmi les internautes. Mais ces success stories participent du mythe qui, à côté des réalités économiques, confère à l’Internet sa valeur légitimante, et pousse les personal branleurs à s’enorgueillir des marqueurs d’une e-réputation honorable.

Cependant, il convient de relativiser le constat alarmant d’une prolifération des adeptes du personal branling sur nos réseaux sociaux. En effet, chaque occurrence interpelle, en ce qu’elle agace, énerve, ou provoque tout simplement le rire. Mais il faut bien considérer que ce phénomène se limite à ceux des internautes qui sont conscients des potentialités de l’outil dans leur avancement social ou professionnel. Ainsi, un rapide tour sur le tumblr Personal Branling, ou dans votre longue liste d’amis sur Facebook, suffit pour constater que la plupart des personal branleurs ont une profession dans le domaine du divertissement, des médias ou du numérique, ou du moins s’y destinent, et que la grande majorité des autres se contentent d’interagir avec leurs contacts et d’échanger du contenu.