Un ouvrage multidisciplinaire sur la biodiversité qui invite à la solidarité des sociétés débitrices de l’obligation de protection. 

La science rend possible la connaissance du vivant et l’intérêt du droit pour les progrès scientifiques paraît logique. Conformément aux défis que posent ces connaissances, le droit consacre l’existence d’un concept scientifique englobant les êtres animés et inanimés, les systèmes écologiques, les ressources génétiques, et les relations qu’ils entretiennent. Cette catégorie nouvelle, si elle en était vraiment, ou plus exactement cette méta-catégorie, a été appelée la biodiversité. Pour le moins, il ne s’agirait pas d’une catégorie classique (parce que holiste) indiscutablement fixée en droit international, bien que consacrée par la Convention sur la diversité biologique de 1992.

Au sens où elle y est définie, la biodiversité traduit “un ensemble” à l’intérieur duquel le vivant semble être aspiré. L’ouvrage collectif, Biodiversité, Droits de propriété, économie et environnement, présente les débats de la huitième conférence internationale de l’International Center for Research on Environmental Issues (ICREI) de 2010. Max Falque, coéditeur de l’ouvrage, débute par un avertissement important : "la biodiversité n’est pas un objet clairement identifié mais plutôt un système complexe de relations qui doit être géré par plusieurs personnes ou groupes de personnes. Dans ces conditions la définition de périmètres, de zones, de normes…, outils traditionnels de la réglementation, paraît mal adaptée.” (Max Falque, p. 27). La diversité des intervenants et la qualité des contributions permettent d'étudier sous de multiples angles le concept de biodiversité et conduisent à en relever, bien entendu en raison des perceptions et des représentations particulières propres à chaque spécialité (économie, droit, anthropologie, écologie, ethnologie entre autres), les limites de sa protection.

Une notion ambiguë et un risque potentiel de détournement sémantique et juridique

Comment protéger un objet non clairement identifié qui peut être convoqué dans toutes les sciences sociales et dont les spécialistes peuvent faire leurs, sans unanimité, la connaissance ? Les spécialistes des sciences sociales peuvent-ils résister à la tentation de détourner, au moyen de techniques particulières de qualification, une notion dont la compréhension ne serait possible qu’en regard de la  sublimation des représentations sociales ? Quelques auteurs de l’ouvrage s’accordent sur l’incertitude de la notion de biodiversité. Il n’y a rien d’étonnant à cela parce que le droit, tout comme l’économie ou la sociologie, ne sont pas à un paradoxe près.

La nature de la biodiversité conduit à penser qu’elle n’est pas en principe un bien (Guillaume Modet, p. 393). À ce titre, la Convention sur la diversité biologique a consacré la notion de valeur intrinsèque, notion pouvant être opposée à celle de bien ou de valeur extrinsèque. Il existe donc, d’une part, une asymétrie entre la biodiversité-objet et son corollaire en économie renvoyant à l’utilisation durable, et d’autre part, la biodiversité “authentique” et générique évoquée dans le préambule de la convention. Cette distinction paraît essentielle, concession corroborée par quelques intervenants, et évite un amalgame susceptible de nuire à la qualité de la précision scientifique. C’est ainsi que l’unité de biodiversité est délaissée à l’inverse de la notion de biens écologiques dont l’article de Graciella Chichilinsky de l’Université de Columbia développe les éléments essentiels. Les effets économiques des  biens qui bénéficient de prix standards sur le marché sont démarqués de ceux qui ne peuvent être évalués selon les calculs pris en compte dans le produit intérieur brut (p. 370). En plus, démarche à saluer, elle étoffe la diversité philosophique de l’ouvrage, avec Graham Dutfield (pp. 101-107), d’analyses portant sur l’épineuse question des savoirs traditionnels (p. 382), facteurs de complexité, dont les apports sont peu mis en perspective, qualifiés de non-scientifiques, et reversés hors des champs d’intervention décisionnelle de l’Etat, quand ils ne sont pas confinés dans les études ethnologiques. Le manque d’initiatives étatiques pertinentes ayant pour objet le développement durable (qui inclut d’ailleurs un volet savoirs traditionnels) compromettrait la diversité institutionnelle et l’émergence de solutions polycentriques permettant de faire face aux problèmes complexes (Garello, Chamilal, pp. 277-290). On peut observer par ailleurs que relativement à la biodiversité, l’action étatique repose principalement sur les instruments du droit et ceux de l’économie, colonnes des politiques de développement. Ainsi, la valeur sociale ou relative et notamment économique de la biodiversité (Guillaume Sainteny, pp. 213-214) se trouve confortée, laquelle, pour autant qu’elle reste instrumentale, introduit la question du marché, de la propriété et de l’innovation (p. 391 et suivantes).

L’économie et le droit, piliers de la protection de la biodiversité

Du point de vue positiviste, la notion de valeur intrinsèque de la biodiversité, effleurée dans la convention, semble ne pas être viable pour l’économie et encore moins pour le droit. Pour autant que la valeur intrinsèque ne soit pas retenue, la véritable question alors qui semble avoir été débattue dans cet ouvrage serait : comment exploiter la biodiversité sans en altérer la qualité qui, du fait de l’objet même du thème abordé, semblerait d’ores et déjà mise en jeu ? Dès le départ, Max Falque propose de repenser la nature et le contenu des droits de propriété (p. 28) dans la mesure où la biodiversité procure un ensemble de services ayant une valeur économique certaine. L’économie et le droit rappellent dans un tel contexte la question de l’utilité sociale. Cette utilité sociale a été corrélée à la notion de propriété (Luis Nogueiras Matias, pp. 353-354), à sa perception sociale ou religieuse et sa pratique sur les deux rives de la Méditerranée (François Facchini, pp. 259-263), mais aussi à l’identification des sites d’intérêt biologique et écologique. De même, la propriété foncière et privée, le domaine public naturel et les aires communautaires présentent un intérêt évident quant à la protection environnementale. L’exemple du cadastre marin est évocateur, en ce sens que les propositions intéressantes de Diane Dumashie ne manquent pas d’éveiller la curiosité. Elle livre les conclusions de ses réflexions dans un article où le droit de propriété sert à la fois d’outil de gestion et de conservation marine et de levier de coordination des différentes approches administratives de gestion marine (p. 75 et suivantes).

Le rôle d’une administration de gestion d’espaces maritimes peut aussi être complété, suivant la contribution de Gilles Pipien (p. 403 et suivantes), par une fiscalité intégrant une taxe additionnelle supportée par les propriétaires de terrains bâtis dans des zones naturelles et des quotas individuels ou collectifs rattachés au foncier et au droit civil, permettant de densifier les villes et d’internaliser les “externalités liées à l’artificialisation des zones urbaines”. Nombreuses sont ces initiatives qui s’inscrivent clairement dans une vision de développement sans cesse réajustée. Dans cette perspective, les paiements des services environnementaux pourront être introduits ou utilisés pour atteindre des objectifs agricoles ou alimentaires (Alain Karsenty, pp. 446-452), mais non sans risques, en ce qu’ils ne réduisent pas la consommation de biens environnementaux qui ne se justifie pas toujours. Plus généralement, la résilience des considérations économiques reste présente au plan étatique dans tous les secteurs où subsiste un risque ténu ou accru d’érosion de la biodiversité.

On apprend aussi dans cet ouvrage que le prix des services écologiques affecte la prise de décision tout autant qu’il serait possible d’utiliser le marché pour financer la conservation de la biodiversité (Adrian Treves, p. 417). À cet égard, la convergence des acteurs publics et privés devient essentielle et concourt à les responsabiliser (Thierry l’Escaille, p. 431 et suivantes). L’exploitation de la biodiversité comporterait naturellement des risques que viennent pallier la contractualisation de l’exploitant, la création de mécanismes (Philippe Thievent, p. 491) ou de structures de compensation (Benjamin Guillon, p. 439), pour la prévention de l’érosion génétique ou l’anticipation du dommage écologique.

Un large spectre thématique invitant à la solidarité écologique et à l’adaptation créative

Il y a beaucoup à apprendre d’un ouvrage qui s’inscrit dans une démarche de partage des solutions. Le slogan “penser global, agir local”   prend ici tout son sens. Les expériences étatiques et institutionnelles multiples (Madagascar, États-Unis, France, Brésil, OCDE…) ont été proposées. Les grands thèmes de la convention sur la diversité biologique, qui entre dans sa vingtième année, sont abordés sous des angles différents. S’il serait douteux de prétendre évaluer impartialement la perspective économique et juridique d’appropriation de la diversité biologique, il est en revanche possible de les faire intégrer politiquement pour atteindre un même but. En cela, l’ouvrage, malgré le nombre important de contributions est un succès. L’article de Philippe Billet sur la protection juridique des insectes, pour ne citer que celui-là,  montre la complémentarité des actions au service de la biodiversité. L’entomologie a été bien servie, l’ethnologie et ses sujets orphelins les plus importants de même commencent à mieux trouver leur place au cœur des préoccupations du droit. La question toutefois ne se résume pas à ces deux spécialités, elle recouvre plus globalement les politiques publiques comme le souligne le rapport général d'Henri Lamotte.

En conclusion, l’ouvrage est accessible à tous les étudiants des facultés des sciences humaines et sociales et aussi, à ceux dont les études s’appuient, peu ou prou, sur les ressources de la biodiversité. Le curieux est invité à ne pas se laisser impressionner par la complexité du sujet. S’intéresser à la biodiversité, c’est accepter le monde dans sa diversité, s’engager à débloquer par l’échange et l’adaptation les réductionnismes relevant des perspectives insuffisantes du monde, mais aussi concéder que les disciplines scientifiques et leurs techniques ont des limites, certes, mais plus opportunément, des moyens à mettre, à bon escient, au service de la biodiversité