Homme politique et intellectuel communiste, chrétien revendiqué, converti à l’islam et enfin négationniste. S’il manque d’unité, le parcours de Roger Garaudy, décédé mercredi 13 juin, peut être qualifié de "cohérence dans l’incohérence"   .

Les étapes successives de l’engagement de Garaudy ne peuvent pas être lues comme les causes directes de son cheminement vers le négationnisme. Pourtant, chacune d’entre elles présente d’intéressants points de convergence. Depuis son entrée au Parti communiste français en 1933 jusqu’à la publication de l’ouvrage polémique Les Mythes fondateurs de la politique israélienne publié en 1995, ses positionnements sont tous marqués par un goût certain pour la contestation. En période de capitalisme triomphant, Garaudy est communiste. Quand l’Union soviétique s’affirme et s’impose comme une force dominante en Europe centrale   , il entame une lutte sans merci contre le suivisme de son parti, jusqu’à en être exclu en 1970. Alors vient la période du retour à la religion : issu d’une famille protestante, il se convertit successivement au catholicisme, puis à l’islam en 1971. La loi Gayssot entrée en vigueur, son profil de frondeur acharné resurgit lorsqu’il publie en 1996 Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, ouvrage qui achève de le classer dans le camp des intellectuels négationnistes.  
Ses différents engagements protestataires sont toujours empreints d’une adhésion presque religieuse. Dans les années 1950, alors député et membre éminent du bureau du Parti communiste français, il se revendique "stalinien de la tête aux pieds", déclaration d’amour au "Père des peuples" confirmée quelque temps plus tard par l’obtention d’un doctorat de philosophie à Moscou.

Cette adhésion davantage religieuse qu’idéologique aux causes qu’il défend pose alors la question de son travail d’historien. Peut-on le qualifier ainsi ? Pierre Vidal-Naquet s’en insurge, dans un entretien  accordé au Monde peu de temps après la publication de l’ouvrage négationniste de Garaudy, remis en cause par la majorité du monde universitaire : "En fait, Roger Garaudy ne travaille pas, n'a jamais travaillé. Dans cet ouvrage négationniste, on lit des choses incroyables.". Puis il poursuit, en dénonçant les grossières erreurs méthodologiques qui ne peuvent être celles d’un historien sérieux : "Il confond, par exemple, Roosevelt et Eisenhower. Il cite les Diaries de Herzl et, dans la même page, le Tagebuch, c'est-à-dire le même livre, mais une édition anglaise dans un cas, une édition allemande dans l'autre ! Il confond le procès Eichmann, en 1961, et le procès Kastner, qui date de 1953… il confond le nombre de morts d'Auschwitz et le nombre de morts de la Shoah.". Il conclut ensuite : "C'est un livre accablant, fait de contresens historiques effrayants. Pas un mot dans le livre sur ce fait capital : la sélection des déportés sur la rampe d'Auschwitz.". L’helléniste français n’est pas le seul à avoir mis le doigt sur l’imposture historienne de Roger Garaudy. Edward Saïd, se faisant le porte-parole des intellectuels issus de la pensée post-coloniale, dénonce "une ruse imbécile" qu’il se refuse de voir ainsi reliée aux conflits agitant le Moyen Orient.

La méthode de l’analyse hyper-critique de la Shoah opérée par Garaudy s’inscrit  bel et bien à rebours du métier d’historien, qui, toujours, doit analyser les sources et se garder de les manipuler. L’aveuglement aura sans doute été la cohérence des engagements de Garaudy.