A partir de recherches récentes, cet ouvrage appelle à une nouvelle approche de l'entreprise afin de réaffirmer ses missions d'innovation et de progrès collectif.

Les auteurs, tous deux professeurs de gestion à Mines Paris Tech, appellent dans cet ouvrage à une nouvelle conception de l'entreprise, déformée depuis les années 1970 par les impératifs de rémunération des actionnaires, afin de réaffirmer ses missions d'innovation et de progrès social.

"Nous pensons que la sortie de crise passera nécessairement par un effort pour réinventer l'entreprise" écrivent Blanche Segrestin et Armand Hatchuel en introduction. "Nul ne conteste la gravité de la crise économique et la nécessité d'envisager des évolutions hier encore impensables (...) notre travail, en s'attachant à clarifier la nature de l'entreprise et en posant les bases d'un droit nouveau espère ainsi contribuer à une refondation de l'entreprise " (p.20).

L'entreprise : projet de création collective

Durant la première partie du XXème siècle, l'entreprise s'est progressivement imposée dans toutes les strates de la société par son efficacité et parce qu'elle était porteuse de progrès, d'avenir et de cohésion sociale, rappellent les auteurs dans une première partie consacrée à la construction de l'entreprise moderne. Cette conception de l'entreprise comme "projet de création collective" s'est aussi affirmée grâce au soutien des pouvoirs publics qui voyaient en elle un vecteur de développement économique et social. L'action créative collective est la "raison" et la "légitimité" de l'entreprise pour les auteurs ; par cette spécificité, elle se distingue de la société de capitaux et ne peut se réduire à un groupe d'intérêt.

Or, constatent-ils, "l'image de l'entreprise comme facteur de cohésion sociale et comme moteur de création de valeur a quasiment disparu des discours, y compris des plus progressistes" (p.50). A la place s'est affirmée "l'image de l'entreprise comme pur projet d'investissement pour les actionnaires et comme simple jeu de contrats de travail flexibles". "Des notions comme celles de flexisécurité semblent même entériner l'absence de contrats collectifs à long terme et de solidarité. Les aspirations aux progrès collectif ont été relégués au second plan derrière la valeur actionnariale". L'entreprise semble donc menacée, écrivent-ils.

La crise de l'entreprise

Blanche Segrestin et Armand Hatchuel nous montrent ensuite comment, à partir des années 1970, l'entreprise a subi une déformation lorsque le modèle de la "corporate governance" s'est imposé, faisant prévaloir les intérêts des actionnaires sur ceux de l'entreprise. La crise financière de 2008 révèle une crise plus profonde : celle de l'entreprise et de sa gestion, écrivent les auteurs. Depuis les années 1980, la primauté donnée à la rentabilité financière à court terme et aux intérêts des actionnaires affecte les investissements, la recherche-développement et la stratégie à long terme des entreprises. La valeur actionnariale est devenue le critère dominant de performance et la boussole stratégique des dirigeants. "Certes la nécessité de développer l'entreprise, de protéger ses emplois et ses salariés, d'assurer sa réputation sociale n'a pas disparu de l'agenda des dirigeants. On peut même observer depuis une vingtaine d'années un intérêt grandissant pour les questions de responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise. Mais ces questions sont rarement premières ; elles sont généralement conditionnées à l'intérêt des actionnaires" (p.12).

L' exigence de rentabilité financière a fortement pesé sur la capacité d'innovation, poursuivent les auteurs. En effet, dans de nombreux secteurs ou la concurrence se joue sur l'innovation, la valeur actionnariale a primé sur les investissements productifs et la création de capacités futures. Ainsi, en France, les dividendes versés chaque année aux actionnaires ont pratiquement doublé ces dix dernières années et les entreprises ont même utilisé leurs résultats annuels pour racheter leurs propres actions sur les marchés financiers. Par ailleurs, la recherche de la rentabilité à court terme s'est faite aux dépens des critères d'équité et de justice sociale, au point de saper la légitimité de l'entreprise, analysent-ils. Celle-ci est aussi devenue synonyme de précarité, de flexibilité et d'inégalités.

Un nouveau droit pour l'entreprise

Dans une seconde partie, les auteurs proposent quatre principes pour refonder l’entreprise. Au-delà du profit, il faut redéfinir une mission d’innovation et de progrès collectif pour l’entreprise et restaurer le rôle du dirigeant en créant un pouvoir "habilité, légitime et autonome" afin de lui permettre de poursuivre des "objectifs d'entreprise" sur le long terme. Il faut également créer un collectif qui inclut les salariés et mettre en place des règles de solidarité allant au-delà du partage annuel des résultats. Ces nouveaux statuts seraient proposés à côté de la société anonyme, du groupement d'intérêt économique (GIE) ou de la Scop et pourraient ne différer qu'à la marge des normes actuelles pour intégrer l'un ou l'autre des principes cités précédemment, précisent-ils également.

L'entreprise doit redevenir un "vecteur d'innovation et de croissance économique, en même temps qu'un lieu de construction sociale et d'épanouissement personnel", écrivent Blanche Segrestin et Armand Hatchuel en conclusion de cet ouvrage. Au delà de la crise bancaire, ce livre d'une forte actualité vient nourrir le débat sur les finalités de l'entreprise, la place à accorder aux actionnaires ainsi que sur le statut et les missions de ses dirigeants