L'objectif de mieux faire connaître le champ institutionnel européen est parfaitement rempli dans ce livre passionnant et riche de matière nouvelle.

On n'a jamais tant parlé d'Europe mais on connaît finalement très peu l'"eurocratie". Ce terme assez galvaudé dans le langage courant et plutôt péjoratif signifie pour l'auteur un " nouveau centre de pouvoir incarné par les institutions européennes ". Didier Georgakakis tente de mieux cerner l’ancrage sociologique de ceux, et pour l’auteur la définition est large (haut fonctionnaires européens, commissaires européens, députés européens, représentants des Etats membres, mais aussi lobbyistes, journalistes…) qui participent à la définition des politiques publiques européennes. Un espace peu palpable et complexe pour les citoyens européens en dépit de son fort impact sur leur quotidien. Comme l’écrit Georgakakis : le champ de l’eurocratie, c’est tout de même l’espace auquel " les élites politiques et administratives des Etats membres et de nombreux groupes sociaux et économiques européens délèguent une partie de leur mission politique, sociale et économique (…), il en est comme l’opérateur concret ".

Dans sa contribution axée sur la Commission européenne, Georgakakis, qui fait appel également à d’autres universitaires, entend démonter " la structure sociologique des conflits politiques et administratifs internes qui marquent la Commission européenne depuis la Commission Santer pour ouvrir une compréhension nouvelle de ses pannes de leadership et du sentiment de crise qui traverse plus largement la structure du champ institutionnel de l’UE ".
Il explique que la Commission est traversée par "une lutte de pouvoir permanente entre les commissaires et les fonctionnaires", dont les parcours et ambitions sont très différents. Les hauts fonctionnaires s'investissent à long terme dans les institutions européennes tandis que les commissaires s'inscrivent dans le court terme. Pour l'auteur, ce constat permet de mieux comprendre" la démobilisation interne et la panne de leadership" de l'UE. Les fonctionnaires tirent un certain avantage de leur perspective de carrière à plus long terme. Du côté des commissaires, il apparaît que le passage par la Commission n'est pas un accélérateur de carrière politique. Une reconversion dans le privé est relativement fréquente.

Le Parlement européen fait également l'objet d'une recherche d'autant plus intéressante que l'assemblée politique européenne a vu son rôle considérablement renforcé dans le Traité de Lisbonne. Il semble encore trop tôt pour en tirer des conclusions sur l'impact éventuel concernant le recrutement des députés. L'auteur souligne en tout cas que le Parlement européen reste un espace politique privilégié pour des élus souvent très diplômés mais peut-être moins dotés en capital politique dans les espaces nationaux.


L'ouvrage s'intéresse aussi aux Représentants permanents des Etats membres, peu étudiés jusqu'à présent, mais qui jouent un rôle fondamental dans l'espace européen car même si le "Comité des Représentants permanents" ne fait "que" préparer les décisions qui seront soumis au Conseil de l'UE, certaines d'entre elles ne sont plus discutées au niveau ministériel (point "A" de l'agenda). Les Représentants permanents sont plutôt des généralistes même si un profil "européanisé" des RP s’affirme progressivement. Ils doivent maîtriser des négociations très techniques et comme le souligne l'auteur, réellement s'investir "pour décanter les dossiers et faire émerger les décisions".

L'ouvrage extrêmement riche s'intéresse également aux dirigeants de la BCE dans une contribution qui tente de mieux cerner le profil de ceux qui pilotent la monnaie unique.
D'autres contributions portent sur les membres des syndicats européens, en particulier la Confédération européenne des syndicats, dont le profil s'apparente de plus en plus aux professionnels de l'Europe au détriment des militants, mais aussi aux acteurs de la politique européenne de défense, aux grands patrons, aux producteurs de l'information européenne...