Dans les écrits de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), rédigés durant la période des Propylées, nous pouvons retrouver quelques considérations sur les arts et les sciences qui méritent d’être retenues dans une bibliographie consacrée à ce genre de thème.

La fin de l’introduction du premier numéro des Propylées énonce le principe général selon lequel il convient désormais d’agir, au sein d’un monde de dispersion. Il faut envisager de prendre des positions "dans un esprit de véritables citoyens du monde, esprit qui peut-être s’incarne de la manière la plus pure dans le domaine des arts et des sciences". En un mot, Goethe oppose dispersion et unité du monde et de la cité, comme il oppose guerre et paix, mais en voyant dans les arts et les sciences les moteurs de l’unité et de la paix, en un mot des modèles salvateurs.

On notera cependant que Goethe prend d’abord arts et sciences ensemble, pour les fondre dans la citoyenneté du monde. Sans pour autant, en première approche s’intéresser à leur association possible. Cela étant, il examine leurs rapports, quelques pages plus tôt, mais sous un mode très particulier, puisqu’il les associe, tout en maintenant leur autonomie, à partir de l’analyse de l’art classique, notamment la peinture ou la sculpture figurative. Il reconnaît bien volontiers qu’un artiste doit faire de toutes choses l’entourant une matière pour son travail. Mais l’artiste est d’emblée pris dans une difficulté : il est rare qu’il cherche à élaborer, de la nature, une connaissance résultant de la pratique et de l’expérimentation. L’artiste n’est pas un savant. Mais il lui est non moins nécessaire de pénétrer "au fond des objets, ainsi qu’au fond de sa propre âme" afin de créer, "en rivalisant en cela avec la nature, un organisme spirituel et de donner à son œuvre un contenu et une forme tels qu’elle en paraisse en même temps naturelle et surnaturelle".

L’artiste n’est pas un savant, mais fait œuvre de savant d’une autre nature. Le risque pris par le savant qui ne serait que savant étant de se livrer à la seule connaissance du particulier sans capacité à saisir "la belle totalité toute une qui se meut devant nos yeux". D’un côté donc, pour l’artiste, la nécessité de prendre, par exemple, l’homme pour l’objet le plus élevé des arts plastiques. Dans ce dessein, il doit maîtriser une connaissance générale de la nature organique. Il doit savoir tout ce qui est utilisable dans la pratique artistique. Il doit se tenir au courant des dissections en cours et de l’enseignement des sciences naturelles. Mais, il ne doit pas se prendre pour un savant et s’enfermer dans ces connaissances. De l’autre, non moins, il doit donc dépasser le savoir ou la science, et s’inquiéter des liaisons intimes des choses et des membres du corps, s’imprégner "de ce qui est enfoui et constitue le fondement de l’apparition extérieure".

On peut observer ici plusieurs choses. Certes, d’abord, une méfiance de Goethe vis-à-vis de tout mécanisme. Il prend parti pour une conception vitale du corps. Mais on sent pointer aussi la possibilité d’un type particulier de rapport entre arts et sciences, au sein duquel l’un et l’autre auraient à jouer un rôle consciemment conçu, quoique sans se confondre.

La limite du parti pris, pour nous qui cherchons à repenser les rapports arts et sciences pour notre époque, est que l’objet de rencontre du rapport arts et sciences est ici la figure plastique de l’homme. Goethe reste pris dans le rapport classique entre l’anatomie et la figuration. Il n’empêche, arts et sciences se côtoient et s’alimentent

 

 

* J-W. Goethe, Ecrits sur l’art, Introduction de Tzvetan Todorv, Traduction et notes de Jean-Marie Schaeffer, Paris, GF-Flammarion, 1996.