Pour en finir avec le discours déresponsabilisant martelé par les lobbys financiers, répliques d’un élu écologiste devenu ministre, Pascal Canfin, dans un livre qui fourmille de contre-arguments.

Depuis la crise financière des subprimes en 2008, puis celle des dettes souveraines européennes, commence à naître un consensus sur la nécessité de réguler la finance. En effet, depuis une vingtaine d'années celle-ci s'est largement détournée de son but premier : celui de financer l'économie réelle. Un certain nombre d'activités purement spéculatives se sont démultipliées, et se sont finalement avérées mortelles. C'est dans ce contexte de crise et cette optique de régulation que le député écologiste européen Pascal Canfin a écrit  ce livre intitulé Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire, paru début 2012.

Critique de la finance pure

Depuis le 17 mai 2012, Pascal Canfin est ministre délégué au développement, au ministère des affaires étrangères. Auparavant, l’auteur de ce livre a puisé ses contre-arguments aux lobbies financiers dans son expérience de député vert au parlement européen, où il siège depuis juin 2009. Quotidiennement, il a participé aux négociations des nouvelles lois visant à réglementer la finance à l’échelon communautaire. Malheureusement, a-t-il pu constater, leur mise en place est un combat de tous les jours. Non seulement une grande partie des politiques ne sont pas prêts à avancer sur ces questions, mais surtout, les acteurs financiers disposent de lobbies puissants dont le but est de contrer toute forme de régulation.

Dans ce livre, Pascal Canfin reprend un à un les principaux arguments de ces lobbies afin d'y apporter une contre-expertise. Ces arguments, on les entend tous les jours, "les banques n'ont rien coûté au contribuable", "si vous réglementez trop, on partira s'installer ailleurs". C'est avec habileté, simplicité et rigueur que Pascal Canfin répond à chacun de leurs arguments. Loin d'une critique unilatérale agressive, il dévoile derrière chaque argument, la part de vérité, ainsi que les omissions et détournements. Bien souvent, les arguments simplistes des lobbyistes ne résistent pas à une analyse approfondie. Pour ne citer qu'un exemple, lorsque la Société générale prétend qu'elle n'a rien coûté au contribuable français, c'est vrai. C'est en effet le contribuable américain qui a renfloué les caisses de cette banque après le choc de 2008, relève Pascal Canfin. Car la Société Générale s'était munie de nombreux titres d'assurance, auprès d'assureurs américains, contre ses actifs risqués. Lorsque ces actifs se sont avérés toxiques, ces mêmes assurances furent sauvées par l'Etat américain, et l'argent est parti des poches du contribuable vers celles de la Société Générale, que les compagnies d'assurance ont eu à dédommager   .

En matière de finance, de telles analyses font souvent défaut, laissant le champ libre aux décisions partiales des législateurs nationaux ou européens. Ce n'est pas le rôle des lobbies que d’en apporter. Ils n’ont d’autres missions que d’exposer leur point de vue –en fait, celui de leurs mandataires. Car rappelons-le, un lobby n'est pas l'incarnation de financiers requins, prêts à corrompre tout politique sur son passage par nature. Il s'agit de porte-parole. Ces derniers instillent la vision des banquiers sur la situation, dont les législateurs se saisissent. En pratique, les millions déployés pour qu’ils se fassent entendre confèrent à leurs arguments une visibilité difficilement égalable par tout autre acteur de l'économie ou de la société civile. Pascal Canfin lutte donc pour une reprise en main de la finance par le politique, mais aussi par le citoyen. "Sans démocratisation de la finance, nous assisterons à la financiarisation de la démocratie"   .

Mais cette reprise en main implique le débat, la controverse démocratique. En effet, si les banques ont leur part de responsabilité, certains choix politiques ont également favorisé l'explosion de la crise financière. Comme bien souvent, il s'agit donc d'une responsabilité partagée. La résolution des difficultés rencontrées doit également passer par le collectif, et donc le dialogue. Mais pour cela, il faut non seulement éclairer la responsabilité de la finance, mais il faut également que politiques et citoyens s'emparent des termes du débat.

Vers un dialogue citoyen

Ainsi l’ouvrage s'adresse-t-il à un large public. C'est un point important auquel s'attache l'auteur. Car une meilleure compréhension de ce qu'est la finance est aussi indispensable pour endiguer ses dérives. Tout comme le scientifique se doit de communiquer avec la société civile, le financier devrait également dialoguer sur son rôle vis-à-vis de la collectivité. Mais ce dialogue ne fait pas partie du métier de financier. L'opacité est même souvent utilisée comme écran de fumée, afin de rendre impossible toute remise en question, sous prétexte que ce serait trop compliqué.

Il est intéressant de constater que Pascal Canfin n'est pas le seul à formuler de telles critiques concernant la vulgarisation de la finance. On peut également penser aux travaux de Nicolas Bouleau   . Ce mathématicien s'est intéressé de près à la finance, et en particulier l'utilisation des modèles mathématiques pour prédire les comportements des marchés. Il y a constaté de cruels manquements à la démarche scientifique, notamment concernant la diffusion et l'enseignement. Et c'est bien le manque d'enseignement qui empêche les mathématiques financières de penser leurs propres limites. Ainsi, le clivage communicationnel ne se situe pas seulement entre la finance et la société, mais également au sein même de la finance. Il est donc d'autant plus important pour le politique et le citoyen de s'approprier cette thématique.

Cette appropriation de la finance par le citoyen va encore plus loin. En effet, elle pose la question de la transparence des organismes d'épargne. Aujourd'hui, le citoyen n'a quasiment accès à aucune information concernant l'utilisation de son épargne sur les marchés. Finance-t-elle un projet humanitaire, des logements sociaux (objectif originel du livret A), la croissance verte via "Le grand Emprunt" (rebaptisé : "Investissements d’avenir"), ou bien alimente-t-elle une nouvelle bulle spéculative ? En outre, toutes les banques ne se valent pas. Certaines sont plus implantées dans les paradis fiscaux que d'autres, ou investissent dans des produits financiers plus ou moins opaques... De ces revendications la société civile doit davantage s'emparer, car choisir où placer son épargne peut avoir un véritable impact sur le comportement des banques. Encore faut-il que l'information soit disponible.

 

Démarche politique, éthique personnelle

Le livre de Pascal Canfin n'est pas un traité technique de plus. Il expose le point de vue interne d'un parlementaire vert, ainsi que sa démarche personnelle. Les lobbies financiers disposant de moyens hypertrophiés, il convient de se fixer des limites et un cadre de travail équilibré, observe le député européen. Il tient entre autre à ce que ces rencontres soient transparentes, que chacune d'entre elles soit annoncée publiquement, ainsi que l'objet de la discussion. Ecouter attentivement leurs arguments, soit ! Car ils représentent une partie de la société dont le point de vue mérite d'être entendu. Mais également, parce que certains fournissent eux-mêmes les contre-arguments vis-à-vis de leurs collègues (et néanmoins concurrents…). Une écoute attentive permet donc de mettre ces acteurs face à leurs contradictions.

Cet aspect du livre est intéressant, parce qu’il montre comment un politique peut avoir une démarche constructive et transparente. Pascal Canfin est un pragmatique. Il se garde de défendre des mesures inapplicables, nécessitant une refonte complète de l'Europe pour fonctionner. Ainsi, lorsqu'il expose ses 10 réformes phares pour réglementer la finance, précise-t-il que la plupart sont réalisables dans le cadre des traités européens actuels. C'est un point crucial. Il est par exemple souvent reproché à la Banque centrale européenne de ne pouvoir prêter directement aux Etats. Cette interdiction remonte en effet au traité de Maastricht. Cependant, en cas de crise, rien n'interdit à la BCE de racheter massivement de la dette sur les marchés; rien, si ce n'est la ligne politique européenne actuelle. User de cette possibilité permettrait de restituer à un organisme public un contre-pouvoir, face aux marchés. Nul besoin pour y parvenir d'abroger quelque traité que ce soit, ce qui rend la mesure nettement plus réalisable. Un tel contre-pouvoir serait d'autant plus à propos en temps de crise, car il est apte à enrayer des phénomènes de paniques sur les marchés.

En d'autres termes, pour reprendre une métaphore de l'auteur, "quand vous avez un feu de forêt, vous mettez des pompiers aux quatre coins et vous empêchez les pyromanes de rentrer". Dans le contexte de la crise des dettes souveraines, la spéculation financière a clairement joué le rôle du pyromane. Et dans un deuxième temps, "vous éteignez l'incendie", notamment via une nouvelle politique monétaire et un rôle accru de la BCE   .

Au XXIème siècle, le monde amorce une grande transformation. Pour résoudre la crise écologique, nous aurons besoin de la finance, outil indispensable à l’économie. Il est donc urgent de la réformer, et de retrouver un véritable équilibre entre finance, économie réelle et puissance publique

 

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