“Laissés dans le train, oubliés dans un meuble, feuilletés, déchirés et finissant en lambeaux, les anciens volumes ont fait leur temps, et pour les nouveaux arrivants dans leurs nouvelles demeures se préparent de nouvelles éditions, prélude à de nouvelles lectures et à de nouveaux amis”   . C’est par ces mots que Virginia Woolf accueillait les rééditions de Jane Austen, des sœurs Brontë et de George Meredith en 1922.

Fin mars 2012, ce sont ses textes qui se sont vus offrir une nouvelle demeure, et pas des moindre puisque l’auteur entre dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade. L’événement devrait symboliser la reconnaissance d’une œuvre ainsi qu’une promesse d’intemporalité pour les auteurs choisis : “On cherche des auteurs qui échappent à leur époque et le temps fait sans doute un meilleur travail que nous”, expliquait Hugues Pradier, alors directeur éditorial de la collection en 1996.

Si la collection est souvent comprise comme “une instance de consécration littéraire, un monument au sens où Foucault l’entendait, et une institution, au sens culturel et anthropologique du terme [...] ce qui conserve une mémoire, ce qui consacre et canonise, ce qui fonde et instaure de nouvelles lectures”   , il ne faudrait pas oublier qu’elle fut à l’origine une simple édition de poche de luxe soucieuse, seulement à partir des années 1960 et de l’explosion démographique de l’université, de se rallier un public désireux d’acquérir une édition de référence assortie d’un appareil critique.

Car Gallimard reste un éditeur privé, devant donc se soucier de ses ventes. Le Pléiade ne serait alors pas “un monument qui s’accroîtrait, en majeure partie par le haut [mais] la traduction en volumes d’un moment dans l’histoire des relations qu’entretiennent avec la littérature les lecteurs pour qui elle compte le plus”   , l’entrée dans cette collection conserve ainsi une valeur symbolique tout aussi importante sans parler d’immortalité quand la notion de Beau éternel est très largement réfutée par l’histoire de l’art. “Mais le point de vue que nous avons désormais sur l’art nous amène à distinguer parmi [les auteurs désormais considérés comme classiques] ceux qui pour nous sont encore des œuvres au sens plein du mot et ceux qui ont leur place dans l’histoire de la littérature et méritent d’être étudiés comme des éléments qui la jalonnent. Plus l’art fait figure de valeur, plus il impose cette distinction, sous peine de nier cette valeur. La Pléiade, parce que son catalogue n’est pas immuable, est dans son domaine le reflet de cette conception caractéristique du vingtième siècle”   .

Effectivement déjà consacrée dans l’histoire littéraire par les nombreuses études critiques dont elle est le sujet, l’entrée de Virginia Woolf dans la Pléiade dit surtout la résonance que cette écriture déliée, empreinte de la personnalité libre et insaisissable de son auteur, continue à exercer sur les lecteurs d’aujourd’hui. Son engagement pour les droits des femmes, surtout, reste très actuel quand celle qui déplorait que la scène littéraire de son époque soit dominée par les hommes devient la neuvième femme, sur 195 auteurs édités, à entrer dans la Pléiade. On pourra regretter au passage que ne figure pas dans ces deux tomes A Room of Ones Own (1929), pas plus qu’un seul des essais de Woolf ni que sa correspondance avec Vita Sackville-West… initialement prévus dans un troisième tome, supprimés par souci économique. Mais heureusement de nouvelles traductions, ainsi que la découverte de Lundi ou Mardi (1921), un recueil de huit textes inédit en français, dont six avaient déjà été repris dans Une maison hantée (1941). Donnés à lire dans une traduction de Michèle Rivoire, avec les illustrations de bois gravés que Vanessa Bell avait réalisé pour l’édition originale.

Virginia Woolf, œuvres romanesques
Édition établie sous la direction de Jacques Aubert
Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”
2 vol., 1484 et 1516 p.
67,50 euros chacun (prix de lancement : 60 euros jusqu’au 31 août)