Dans les vallées italiennes du Nord Ouest, plusieurs terrains sont occupés par des chantiers fermés. Ces chantiers sont là pour construire une ligne ferroviaire qui relie Turin à Lyon. Le projet du Tav (Train à haute vitesse) est devenu un véritable “train de la discorde” qui au lieu de rapprocher deux villes, écarte les hommes politiques de la société civile.
La genèse du projet de la ligne ferroviaire à haute vitesse Turin – Lyon remonte à 1991. Le tracé était initialement destiné au transport de voyageurs, mais au vu de la nette diminution de la fréquentation, a été converti en transport de marchandises. La nouvelle ligne, selon le dernier projet   présenté en juin 2010, passera à travers un tunnel de cinquante-sept kilomètres entre les villages de Bussoleno et Saint Jean-de-Maurienne. Si le Président du Conseil Mario Monti a fait marche arrière sur les Olympiades à Rome et sur la construction du Pont entre la Calabre et la Sicile, il se montre, au contraire, très déterminé à poursuivre le projet du Tav. Il a déclaré qu’abandonner le projet équivaut à “plonger l’Italie dans la Méditerranée”, en l'excluant ainsi de l’Europe. Mais le mouvement des opposants, les No Tav, qui a désormais 20 ans, ne se rend pas et jour après jour défend les terres militarisées du Val de Suze.

Les raisons du gouvernement et des opposants

Suite à la “ bataille de Venaus ” de 2006, à l’issue de cette grande protestation organisée par les habitants concernés par le projet, est décidée la création d’un Observatoire gouvernemental. Cette structure a pour but la mise en place d’une concertation entre citoyens pour étudier la faisabilité de l’œuvre. Mais, progressivement, les représentants des communautés locales opposées au projet, en sont exclus. Le mouvement No Tav constitue dès lors la Commission technique montagnarde du Val de Suze et du Val de Sagone. Malgré la forte opposition populaire, le Gouvernement a répété sa volonté de concrétiser la ligne à haute vitesse et le 14 mars 2012 a publié, sur son site, un document qui résume, en quatorze points, les raisons de cette décision. En réaction à la publication institutionnelle, la Commission technique montagnarde du Val de Suze et du Val de Sagone a diffusé un document, qui reprend et démonte tous les arguments du Gouvernement en s’appuyant sur des données très précises.

La question de l’ouverture à l’Europe

Le dossier du Gouvernement présente la nouvelle ligne comme un moyen indispensable d’ouverture à l’Europe et comme un outil précieux pour “l’ouverture économique et psychologique” des italiens. Les données institutionnelles tendent à démontrer que l’actuelle organisation commerciale ne peut pas renoncer à une augmentation de la capacité du fret des marchandises et à une diminution conséquente du temps de transport. Au contraire le mouvement répète que la ligne historique Turin-Modane et le tunnel du Fréjus supportent très bien le trafic commercial : le volume des produits échangés entre l’Italie et la France, comme l’a ponctuellement rappelé le journaliste Marco Travaglio   , a augmenté jusqu’en 2000 et après est “descendu en pic”, en passant de huit mille tonnes à deux mille tonnes et demie. Le renforcement des lignes et des routes déjà existantes serait donc, selon la Commission montagnarde, une meilleure solution.

Combien ça coute ?

Le projet coutera à l’Italie la somme de 8,2 milliards ce qui représente le 57,9% du coût total (la France payant le 42,% restant). En soutien de la thèse pro Tav, on parle d’un financement européen de 30 ou 40%. Le gouvernement voit ce train comme une ressource économique dont les fruits seront recueillis plus tard. Le mouvement No Tav souligne au contraire qu'une telle dépense, dans cette période de crise, constitue une véritable folie. Les activistes ont plusieurs fois affirmé que les ressources économiques destinées au Tav pourraient se transformer en “bancs d’école, médecins de plus aux urgences, aides pour ceux qui n’ont plus de travail”   .

L’environnement

Tous les acteurs concernés par la question Tav apparaissent inquiets au sujet de l’écologie. Les partisans du projet affirment que le train est un moyen de transport moins polluant puisqu’il permet de diminuer le trafic des camions. Mais le problème crucial n’est pas là: des études ont révélé la présence d’amiante et d'uranium dans la montagne qui devrait être percée. La question est brulante et très actuelle, il suffit de penser au récent procès de l'usine Eternit à Monferrato   . Le Gouvernement se veut rassurant : “le projet n’entraine pas des risques environnementaux directs ou indirects ”. Et le document récemment publié sur le site du Gouvernement   , déclare que la présence d’uranium est en dessous du seuil établi par la loi. Les activistes réagissent vivement avec une argumentation précise. Ils affirment que la loi italienne ne détermine pas des seuils mais des “niveaux de références” qui ne sont pas applicables de manière univoque. Les No Tav accusent les experts du Gouvernement d’avoir déjà foré des zones qu’on savait dépourvues d’amiante.

Ce projet a ouvert une question politique qui va bien au delà du train au cœur de la polémique et dévoile une grave impasse communicative entre les institutions et la société civile. L’absence d’un lieu de confrontation ouvert à tous ne fait en effet qu’augmenter la tension sociale et l’opposition à un projet qui est perçu comme “ inacceptable ”.
Au début d’avril l’expropriation des terrains près du chantier a débuté, une partie de ces terrains ont été achetés par les activistes pendant les années de lutte. Il s’agit d’une véritable bataille, les deux parties ne semblent pas vouloir faire de pas en arrière. Dans cette “querelle” surgit un nouveau sujet social : le mouvement des No Tav, qui propose un modèle de lutte différent et surtout apparaît comme un ensemble de personnes hétérogènes.
Dans une prochaine série d’approfondissements nous essayerons d’analyser le mouvement d’un point de vue sociologique et anthropologique, afin de comprendre comment il met en place un modèle de démocratie participative.

 


Pour en savoir plus :


http://governo.it/GovernoInforma/Dossier/tav/index.html
http://www.ltf-sas.com/index.php
http://www.notav.eu/
http://www.notav.info