Passage en revue de l’actualité éditoriale florissante à l’occasion du 600ème anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc.
* Cette lecture croisée discute également les livres de Max Gallo (Jeanne d'Arc - Jeune fille de France brûlée vive, éditions XO), Catherine Guyon (Jeanne d'Arc en son église, éditions Gérard Louis) et Pauline de Préval (Jeanne d'Arc: la sainteté casquée, Le Seuil).
L’année 2012 est bien l’année de Jeanne d’Arc. Dès le 6 janvier, Domremy était à l’honneur avec le passage du président de la République Nicolas Sarkozy et d’une délégation gouvernementale dont faisait partie le ministre de la Défense, Gérard Longuet. L’accent était alors mis sur le fait que Jeanne d’Arc n’appartenait à aucun parti et qu’elle devait être le symbole de l’unité de tous les Français, même si évidemment le déplacement n'était pas dépourvu d'enjeux partisans. Cette actualité johannique revient au mois de mai avec les différents événements organisés en l’honneur de la Pucelle : à Orléans bien sûr le 8 mai, anniversaire de la libération de la ville du siège anglais, mais aussi en Lorraine à l’occasion de la solennité de la sainte Jeanne d’Arc fêtée le 13 mai. 2012 semble donc l’année ou jamais pour renouveler l’historiographie au sujet de la "bonne Lorraine".
L’actualité éditoriale est, en effet, foisonnante et c’est une bonne chose car Jeanne d’Arc fait partie de ces personnages où le mythe a souvent eu tendance à prendre le pas sur la réalité historique, comme le souligne Catherine Guyon dans un entretien qu’elle a bien voulu nous donner.
Cette fois-ci, ce n’est pas le thème de l’unité française qui est le souci premier des historiens mais bien celui de la « vérité », et ce dans des registres parfois très différents. La vérité hante les titres tout d’abord, tant outre-Rhin (Jeanne d’Arc en vérité de Gerd Krumeich) que chez les Français (réédition de Vérités et légendes de Colette Beaune – que nous n’avons pas pu consulter – ou le Jeanne d’Arc, La vérité sur un faux procès d’Alain Bournazel chez Artena). Et si les autres titres ne sont pas marqués du sceau de la vérité, on la retrouve partout dans les introductions et dans le vocabulaire choisi, reflets de la démarche résolument historique de tous ces ouvrages. On peut ainsi lire ailleurs: "L’histoire de Jeanne est surtout vraie au sens traditionnel et banal du terme. C’est cette vérité qu’il s’agit de saisir et de cerner, en application de la méthode critique telle qu’elle a commencé à être mise au point, dans le domaine des sciences humaines et sociales, à partir de la deuxième moitié du XVIIe" . La démarche des historiens se veut à la fois scientifique et au service de "l’histoire vraie" de Jeanne d’Arc. Et il était temps de rendre la vie de Jeanne d’Arc accessible à un large public "tant les approximations, voire les élucubrations, ont pullulé et pullulent toujours à son sujet"(ibid.)). G. Krumeich ne dit pas autre chose lorsqu’il explique, dans sa préface, que son premier objectif est de "s’en tenir aux faits du passé que nous sommes réellement en mesure de connaître" , une démarche très complexe étant donné qu’à "l’inverse de bien d’autres faits et personnages du lointain Moyen-Âge, les actes de Jeanne d’Arc et son destin sont restés extrêmement vivants dans nos mémoires" . La quatrième de couverture du livre d’A. Bournazel insiste bien elle aussi sur la "révélation de la vérité historique".
Pour cette raison, l’une des démarches les plus présentes chez quasiment tous les auteurs est la volonté de livrer au lecteur du matériau historique brut, des sources pures (transcrites tout de même en français moderne, généralement). Il peut s’agir de témoignages de compagnons de Jeanne d’Arc, de ses lettres, de chroniques contemporaines, etc. Sur ce point, notre préférence va aux Actes du procès de Jeanne d’Arc, qui font l’objet du livre d’A. Bournazel chez Artena et de la moitié du petit ouvrage atypique de Pauline Préval au Seuil.
Les livres présentés ici ne sont pas tous des œuvres à caractère uniquement scientifique. À côté des trois histoires générales de la vie de Jeanne d’Arc parus chez Robert Laffont , Tallandier et Artena , on mentionnera aussi le très beau livre de Catherine Guyon qui reproduit tous les vitraux hauts en couleurs de l’église Sainte-Jeanne-d’Arc de Lunéville et les analyse en détail. Deux autres œuvres viennent compléter ce dossier Jeanne d’Arc. Un roman tout d’abord, celui de Max Gallo auquel on aurait pu ajouter la mention "documentaire", tant la démarche se veut historique. Un essai enfin, publié dans la collection Point Seuil Sagesses par Pauline Préval, journaliste, qui s’arrête sur la dimension catholique de Jeanne d’Arc en tant que sainte mystique. #spd#
On le voit : chaque lecteur peut trouver son bonheur dans l’offre foisonnante autour de Jeanne la Pucelle, dont la vie continue d’attirer les plus grands spécialistes de l’histoire médiévale mais aussi contemporaine. L’œuvre de Contamine, Bouzy et Hélary est sans conteste l’étude la plus complète de notre sélection ne serait-ce que par sa taille (1216 pages) et sa structure protéiforme, qui permet de retracer l’histoire de Jeanne de sa naissance jusqu’au traitement de son mythe aujourd’hui. La première partie est une histoire chronologique classique tandis que la deuxième se présente sous la forme d’un dictionnaire très complet et commode, permettant de retrouver très rapidement toutes les références utiles sur tel ou tel aspect de la vie de la Pucelle. Pour ceux qui voudront aller à l’essentiel sans rien sacrifier à la rigueur scientifique, nous conseillons plutôt la lecture de G. Krumeich, chez Tallandier, excellente synthèse en 254 pages (très aérées) de la vie de la Lorraine. Marque du contemporanéiste, les deux derniers chapitres sont là aussi consacrés à la postérité du mythe de Jeanne d’Arc. Cependant, l’un comme l’autre ne comportent pas beaucoup d’illustrations (on peut mentionner tout de même l’excellent plan du siège d’Orléans chez G. Krumeich ), contrairement à celui de A. Bournazel chez Artena, dont le souci d’illustration transparaît très nettement. Ces moyens mis au service de l’iconographie servent tout à fait la démarche de l’auteur, qui tente de plonger le lecteur dans l’atmosphère du procès de la Pucelle et qui y réussit très bien. Rien n’est laissé au hasard et il va jusqu’à mettre en scène la prison de Jeanne afin de reproduire les cadres tant géographiques que mentaux des derniers jours de Jeanne d’Arc. Cependant, A. Bournazel ne cherche pas à faire une histoire complète de Jeanne d’Arc puisqu’il s’intéresse essentiellement au procès de la Pucelle, tout en abordant au passage de larges pans de son histoire et de l’histoire de France.
Pour les férus d’histoire de l’art, le livre de C. Guyon est tout indiqué. On se reportera à notre entretien pour avoir un aperçu de son livre, et on se contentera ici de souligner à nouveau la beauté des photos de ce livre très agréable à lire et à manier.
Enfin, on conclura cette présentation par les deux ouvrages de notre sélection qui ne sont pas scientifiques au sens strict. L’œuvre de Max Gallo est bien romanesque mais n’est pas pour autant dépourvue d’originalité historique, puisque l’auteur choisit de confier la narration à un compagnon de Jeanne d’Arc, Guillaume de Monthuy – personnage fictif – dont il veut faire "le porte-parole de la réalité" . C’est ainsi que la vérité historique n’est pas sacrifiée, même si c’est parfois au prix d’un certain alourdissement de la prose. Jeanne d’Arc reste donc de ce point de vue dans le panthéon des "héros nationaux" , comme Napoléon ou le général de Gaulle. Pour autant, l’œuvre de M. Gallo ne plaira pas forcément à tout le monde car son style est très cru (comme l’indique d’ailleurs son sous-titre), le roman s’ouvrant par exemple sur la description du bûcher de Jeanne, et sur le détail de la décomposition de son corps par le feu.
Le petit essai de Pauline Préval s’inscrit dans un tout autre registre. Modeste ouvrage par la taille, il n’en attire pas moins l’attention par l’originalité de l’analyse religieuse de Jeanne, figure que l’on a tendance à laïciser à l’extrême, à extraire de son époque éminemment chrétienne et catholique. Là encore, la volonté an-historique de faire de Jeanne d’Arc une figure de notre temps ressort tout particulièrement, entre autres par l’évocation des auteurs contemporains qui lui ont consacré des œuvres très souvent émouvantes.
L’un des plus grands mérites de ces nouveautés éditoriales est d’autre part de proposer un portrait "vrai" de Jeanne et de décomposer certains mythes. On ne mettra en avant que quelques informations. Ainsi, elle n’était pas la sœur cachée de Charles VII, pas plus qu’une bergère – même si elle menait les bêtes aux champs de temps en temps – et encore moins un homme… comme le confirment nombre de descriptions physiques de ses compagnons d’armes, sans oublier les rapports officiels de celles qui avaient été chargées de contrôler sa virginité. Jeanne d’Arc a bien été brûlée à Rouen le 30 mai 1431 et n’eut aucune descendance…
Pour l’histoire factuelle, on laissera le lecteur se reporter à l’un ou plusieurs des ouvrages historiques mentionnés. On se contentera de rappeler le rôle décisif de cette Pucelle dont les plus grands exploits militaires résident dans la levée du siège d’Orléans par les Anglais (8 mai 1429) et la conduite du Dauphin à travers des territoires hostiles jusqu’à Reims afin qu’il soit sacré (17 juillet 1429). Son rôle militaire eut aussi un impact sur l’état d’esprit de ceux qui l’entourèrent et des Français qui vibrèrent au rythme de ses exploits, redonnant un espoir à cette France en guerre depuis si longtemps.
Sa fin tragique scelle le dernier élément extraordinaire de sa vie, et ce n’est pas un hasard si son procès est étudié comme objet historique distinct par deux ouvrages de notre sélection, chez Artena et au Seuil. En effet, ces actes recueillent les paroles de Jeanne, "parvenues sous la forme d’un Évangile selon Pilate certes, mais où éclate à chaque réplique l’insolence de la sainteté" . C’est, en effet, le portrait d’une Jeanne éclatante qui est livré dans ce procès de 1431, "vraie", sans compromis face à ses juges intéressés par d’autres motifs que la préservation de la religion. Et chacun d’entre nous connaît au moins quelques phrases de ce procès, tant les paroles sont simples et fortes. On n’en citera que quelques-unes : "J’aimais beaucoup plus, voire quarante fois, mon étendard que mon épée" (27 février) ; "Il a plu à Dieu ainsi faire par une simple pucelle pour repousser les adversaires du roi" (13 mars) ; ou encore : "De l’amour ou la haine que Dieu a pour les Anglais, ou de ce que Dieu fera à leurs âmes, je ne sais rien. Mais je sais qu’ils seront boutés hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra la victoire aux Français contre les Anglais" (17 mars). P. Préval insiste du reste de manière convaincante sur la comparaison possible entre les procès de Jeanne et… du Christ, dépassant ici les cadres de l’analyse historique.
Ce n’est évidemment pas le moindre des paradoxes de Jeanne d’Arc de ne pouvoir, malgré une documentation exceptionnellement abondante, être entièrement expliquée, restituée par l’histoire. Figure de sainte, d’espoir, d’unité, elle reste aujourd’hui revendiquée par des groupes divers et parfois opposés. Du moins, pourrons-nous désormais un peu plus clairement entrevoir sa vie, son œuvre et son histoire
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