Stéphane Dufoix offre dans ce livre une analyse, sur les plans sémantique, historique et social, des différents usages du terme "diaspora" depuis l’Antiquité.

Stéphane Dufoix nous invite, avec son livre La dispersion. Une histoire des usages du mot diaspora à nous méfier des mots, selon l’expression de Céline, et en l’occurrence d’un mot à la mode : "diaspora". Que ce soit en géographie, en anthropologie, en histoire, en sciences politiques ou en sociologie, mais aussi dans les médias et dans les rapports des organisations internationales et des gouvernements, il ne vous aura pas échappé que ce mot de "diaspora" connaît, depuis les années 1990, un véritable engouement.

Cet engouement trans-disciplinaire est également trans-national, au point que l’on n’a pas manqué de jouer sur les mots : le terme de "diaspora" serait ainsi devenu lui-même diasporique, selon Henry Goldschmidt (2003). En partant de ce constat, Stéphane Dufoix a pour objectif d'expliquer, à travers l'étude des usages de "diaspora" sur le temps long, comment un terme ancien (datant de l'Antiquité) connaît un tel succès dans le monde contemporain au point de devenir le symbole d'un "nouveau type d'existence mondialisée". Cet objectif ambitieux répond à une véritable nécessité, notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales, où l’usage désormais banal de ce terme manque parfois cruellement de conceptualisation.

Pour remplir cet objectif, l’auteur prend en compte dans un même mouvement les aspects sémantiques, historiques et sociaux qui participent de la diffusion et de la transformation des usages du terme étudié. Pour autant, il ne prend jamais position dans cet ouvrage pour une définition précise de "diaspora", puisqu’il s’agit plutôt d’étudier les conditions qui ont permis à ce terme de perdurer dans le temps, et de passer d’un sens exclusivement religieux (la diaspora juive) à un sens séculier et aux connotations désormais positives. 

Pour comprendre ces transformations, l’auteur adopte classiquement une construction chronologique pour structurer son propos, afin de mettre en exergue les principales césures dans les usages du terme "diaspora", à savoir : ses origines et ses usages religieux, la sécularisation du terme au XXème siècle, l’application du terme de "diaspora" à ce qui a été appelé la "diaspora noire" ou "diaspora africaine" dans les années 1960, le développement des "diaspora studies" dans les années 1990, et enfin "l’inflation et la polysémie" contemporaine du terme, utilisé par une multiplicité d’acteurs et en particulier des Etats.

C’est sur ce dernier point que réside une des originalités de cet ouvrage, qui ne se limite pas à des considérations sémantiques stricto sensu, même si elles représentent une partie importante et essentielle du propos, mais qui cherche également à mettre en lumière la manière dont les différents acteurs se saisissent de la notion, contribuant à modifier ses usages mais aussi à produire une certaine réalité sociale. On aurait souhaité cependant que cette "formativité"- selon l’expression de Stéphane Dufoix inspirée de John Austin- du discours sur les diasporas soit davantage développée dans l’ouvrage.

Ce livre a, en outre, le mérite de revenir de manière très détaillée sur la question des origines du terme. Si l'auteur rappelle que le terme de "diaspora", provenant du mot grec signifiant "dispersion", "éparpillement", est apparu au IIIème siècle avant Jésus Christ dans la traduction grecque (appelée Bible des Septante) de la Bible hébraïque, il déconstruit également de fausses origines bien souvent véhiculées dans les ouvrages traitant des diasporas. Ainsi Stéphane Dufoix remet en cause catégoriquement la thèse du sociologue britannique Robin Cohen, largement répandue, pour qui le terme de "diaspora" a été utilisé dans l'Antiquité pour décrire la colonisation grecque.

Ce travail minutieux et très bien référencé sera précieux pour tous ceux qui s’intéressent aux migrations et qui ont pu s’interroger sur cette notion de "diaspora", sur ce qu’elle a de spécifique. Cette notion est devenue d’autant plus séduisante qu’elle permet de penser le proche et le lointain dans un monde mondialisé et permet d’aborder la notion de l’identité non plus sur le mode de la citoyenneté juridique mais sur un mode plus souple, celui de l’appartenance qui se joue des distances. Cet ouvrage nous rappelle que le succès actuel du mot "diaspora" est le fruit de multiples trajectoires dans le temps et dans l’espace et nous incite, finalement, à ne pas l’utiliser comme une évidence, comme un terme allant de soi