Un livre accessible et bien informé où la question du christianisme est toujours sous-jacente.
Depuis quelques temps, les éditions Ellipses développent une collection biographique qui tente de renouveler le genre. Bien utile par sa présentation attrayante, les auteurs systématisent les citations d’extraits de sources, tout en se refusant à alourdir le texte par un appareil de notes. Après l’Alexis Ier Comnène d’Élisabeth Malamut en 2007, le Constantin de Vincent Puech est la deuxième contribution à l’histoire des empereurs byzantins en attendant peut-être un Justinien ou un Basile II. Maîtrisant la bibliographie, ce spécialiste du haut empire byzantin livre un ouvrage accessible. Tout en affirmant tout ce qu’il doit à ses maîtres en particulier les regrettés Yves Modéran et Georges Tate, il permet aux amateurs d’histoire de mieux comprendre le sens du « pari de Constantin » : comment un empereur romain, typiquement romain, peut-il faire le choix du christianisme alors que c’est encore une religion minoritaire au IVe siècle ?
La première partie de l’ouvrage est à proprement parler une vita constantini moderne où Vincent Puech retrace la carrière de Constantin à la lumière des avancées récentes de la recherche. Comme l’auteur l’annonce lui-même, il ne peut présenter que la « pointe récente de l’historiographie constantinienne » (p. 7). Il fait cependant profiter les lecteurs de tous les apports de la recherche renouvelée par les colloques et parutions qui se produisent à chaque date anniversaire de l’aventure constantinienne (2006, 2010 en attendant la suite…).
Dans un deuxième temps, plus structurant, Vincent Puech présente successivement les deux légitimités, romaine et chrétienne, de Constantin. Il prend et exprime toutes les fonctions classiques de l’empereur qu’il associe pour la première fois au christianisme. En s’appuyant sur un rappel permanent des sources, Vincent Puech décrit la mise en place de la légitimité chrétienne qui n’est véritablement mise en avant qu’en 324, une fois le système monarchique réinstallé. Si les auteurs chrétiens, Lactance et Eusèbe de Césarée en tête, vont plus loin en faisant de Constantin un empereur d’abord chrétien, rien dans sa politique ne permet de prendre les rêves de ces auteurs pour des réalités. On retrouve cette idée un peu plus loin à propos de la politique de Constantin vis-à-vis du paganisme : les auteurs chrétiens, en premier lieu Eusèbe de Césarée, font de Constantin un empereur quasi persécuteur alors que les faits et l’épigraphie montrent bien que la tolérance et la continuité avec la période précédente sont en fait les piliers de la politique de Constantin : ainsi vers 333-335 à Spello, il autorise la tenue du culte impérial, dix ans après le concile de Nicée, alors qu’il est manifeste que lui-même ne veut plus participer à de telles cérémonies.
À partir du chapitre V, Vincent Puech abandonne la trame chronologique pour dresser un tableau des actions de l’empereur. On pourrait craindre dans cette partie que la question du christianisme perde un peu de son acuité mais il n’en est rien car, dans la plupart des chapitres, revient la question de la christianisation réelle ou supposée de la politique impériale. L’auteur montre que le choix du christianisme par l’empereur a peu d’influence sur la politique impériale : même dans le cadre de la législation, le christianisme n’a influencé la législation que dans le domaine de l’application des peines : les mutilations, les gladiateurs et le supplice de la croix sont réprouvés. Il est encore loin le temps où le christianisme influencera durablement et solidement une refonte du droit romain. Dans ce domaine, il est remarquable que la foi chrétienne de l’empereur reste discrète alors même qu’elle a tendance à être de plus en plus présente.
Le dernier chapitre sur la légende orientale de Constantin est manifestement un chapitre où l’auteur s’est laissé guider par ses choix personnels. Si les récits sont attrayants, Vincent Puech met ses lecteurs au supplice car nous aurions aimé lire des extraits de ces textes marginaux. La description de la mort de Constantin après l’ascension de la colonne de porphyre restera un mystère…
Si ayant terminé la lecture, l’on reprend la table des matières, on n’est plus étonné du peu de place visible accordée à la question du christianisme. Cette question est en fait toujours présente et toujours sous-jacente dans chacun des développements de l’ouvrage. Dans son explication du choix politique de l’empereur, Vincent Puech fait le pari de l’idée de tolérance chez Constantin, tolérance d’abord demandée pour les chrétiens de 312 à 324, puis tolérance accordée aux païens à partir de la victoire contre Licinius. On peut admettre cette hypothèse, on peut également y voir une bonne dose de pragmatisme : le christianisme minoritaire peut-il se permettre dès 324 d’être persécuteur. Si l’idée est déjà là chez les penseurs chrétiens catholiques à l’égard des donatistes par exemple, il est politiquement aventureux de faire ce choix. Constantin soucieux de ne pas se couper de la majorité de ses sujets pratique une tolérance pragmatique et non idéologique. Au service de sa « farouche ambition individuelle », Constantin fait preuve de son génie politique en faisant le choix de la tolérance car c’est la seule politique capable de lui assurer la conquête puis la conservation du pouvoir. Enfin, à plus long terme, il a mis en œuvre la transformation de l’empire en empire romain chrétien, bref en empire byzantin. Si à la mort de Constantin, on peut concevoir que l’empereur soit chrétien, l’empire, lui, ne l’est pas encore…