A surfer trop rapidement sur le site de welovewords, on serait tenté de penser qu’il s’agit simplement d’un réseau social de plus. Semblable aux autres. Spécialisé tout au plus, puisqu’il s’adresse aux auteurs de tout horizon, romanciers, paroliers, conteurs, slameurs, scénaristes, rédacteurs-concepteurs. La photo avait Flickr, les vidéos Dailymotion, la musique Myspace, les mots avaient enfin welovewords. Sauf que c’est plus compliqué, et l’intuition du fondateur, Grégory Nicolaïdis en est pour beaucoup.

En 2008, alors qu’il travaillait encore pour une boîte de production de musique, et cherchait vainement un bon parolier pour une de ses artistes, Grégory Nicolaïdis a lancé un concours en invitant les internautes et les auteurs en ligne. " De nombreux auteurs avaient tenté leur chance et j’ai été frappé de la qualité de leurs paroles. Je me suis demandé d’où venaient tous ces auteurs. Alors que moi, au quotidien, je ramais un peu à trouver des plumes créatives " dit-il. L’idée a alors lentement fait son chemin : " Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment de plateforme communautaire dédiées aux auteurs en ligne. Il fallait donc créer un réseau social sur lequel on leur permettrait de s’exprimer, d’archiver leurs textes, de les publier, de les partager, de parler entre eux ". En 2009, il fonde donc la société welovewords, le lieu de rencontre qui manquait aux auteurs mais aussi et surtout aux industries créatives en manque de talents. La véritable innovation, " la force du projet " est bien cette place de marché qui permet aux maisons de disques, boîtes de production et autres maisons d’édition " de venir puiser dans le vivier de welovewords et solliciter les auteurs de la communauté ".

Réseau social facilitant les relations interpersonnelles, welovewords se définit aussi comme un intermédiaire et un entremetteur. Ainsi, bien loin de changer les règles traditionnelles du monde de l’édition, le site s’insère dans le jeu comme un nouveau rouage, un " outil en plus au service de l’éditeur ". L’équipe du site, forte de cinq personnalités aux parcours complémentaires, répond ainsi à des commandes bien précises de maisons ayant " de plus en plus de mal à trouver les plumes rares qu’ils souhaiteraient éditer, et de moins en moins de temps pour aller les chercher ".

Concrètement, depuis son lancement en 2010, le site a organisé une quarantaine de concours et d’appels à contribution, dont une dizaine avec des éditeurs littéraires, traditionnels ou numériques. En 2011, Flammarion, soucieux de trouver un auteur pour sa collection de comédie romantique, a fait appel à lui. Sur les trois cents contributions   mises en ligne à l’occasion sur le site, l’équipe a présélectionné vingt textes, qu’elle a soumis à la maison d’édition. Au terme d’un travail en commun, un auteur, Pierre Noirclerc, s’est vu offrir un contrat d’édition qui a donné lieu à la publication de son livre D’autres prendront nos places, fin novembre 2011. Si welovewords n’intervient aucunement sur le contrat " tout à fait classique " alors signé, le site est payé par la maison d’édition pour l’organisation du concours et touche un montant forfaitaire sur les ventes à venir du livre.

En somme, la révolution weloveword ressemble fort à une externalisation du travail d’édition. En amont, mais également en aval, la " promo online étant aussi inclus dans la relation de confiance que l’on a avec l’éditeur ". L'équipe du site joue du buzz, grâce à une forte connexion aux réseaux sociaux qui lui permet de relayer " les bonnes nouvelles ", mais aussi du réseau de bloggeurs littéraires qu’il a su constituer. Une promotion qui a acté les évolutions de la prescription littéraire, donc, et qui sait mettre en place des dispositifs transmédias   pour transformer les sorties littéraires en événement. Un " petit plus qui manque aux éditeurs ", pour beaucoup encore peu à l’aise avec les nouvelles technologies de la communication - quoi qu’il ne faille pas " sous-estimer leur capacité à s’adapter " - mais qui se contentent surtout des bonnes critiques publiées par les journalistes connus ce qui, pour Grégory Nicolaïdis, ne " suffit plus ".

S’il n’est pas question de faire de la concurrence aux maisons d’édition, welovewords - ses 10 000 auteurs et de ses 35 000 textes - entend bien devenir un acteur à part entière. L’équipe essaie donc aussi de faire force de proposition et de soumettre des idées aux maisons d’édition à partir d’une analyse des tendances qui se profilent dans le boxoffice littéraire. En septembre   , elle créera à cette fin un « carnet de tendance » regroupant les textes à la verve similaire ou porteur d’un même thème. Elle fournit déjà un travail d’éditorialisation pour " donner une couleur à la plateforme et orienter la création ". Le site reste une " plateforme ouverte et populaire " où chacun est libre de publier les textes qu’il souhaite, mais les gatekeeper ne sont jamais très loin, attentifs à filtrer les contenus pour offrir plus de visibilité à leurs textes préférés.

En filtrant pour les maisons d’édition " la dimension créative sans fin " du web, welovewords apporte un nouveau souffle à des milieux qui, de par leur cloisonnement, tendent à tourner en rond. Pour autant, le principe même de l’appel d’offre n’est pas sans poser problème. N’est-il pas, en soi, une limite à cette dimension créative sans fin ? Peut-on ouvrir des brèches en suivant des consignes ? Sans doute les maisons d’édition qui se refusent encore à se saisir de cet outil le font moins par souci élitiste ou par peur d’écorner leur cohérence éditoriale, que par envie de poser leur sceau sur une œuvre qui saura les surprendre par son impossibilité à être catégorisée