Une introduction pertinente sur les "médias arabes", pris en compte dans leur diversité.

Révolution(s) Facebook ou Twitter, "effet al Jazeera"... Beaucoup a été dit ces derniers mois sur l'influence, réelle ou fantasmée, des réseaux sociaux et des chaînes satellitaires dans les "Printemps arabes" et, plus largement, dans l'évolution politique et sociétale du monde arabe. Le nouvel ouvrage de Tourya Guaaybess, sobrement intitulé Les médias arabes, tombe donc à point et permet un certain recul, mais surtout une contextualisation et une analyse de fond nécessaires. Avec pour postulat de départ la notion de "confluence médiatique"   , par opposition à celle de "convergence numérique"   , l'auteur va tenter de proposer des pistes de réflexion par secteurs, pour conclure de manière globalisante, et tenter ainsi de définir ce que sont "les médias arabes". L'approche se veut donc générale, non spécialisée. Et c'est d'ailleurs l'une des forces de l'analyse. Après avoir proposé un regard fort pertinent sur le paysage satellitaire arabe   , Tourya Guaaybess souhaite cette fois-ci prendre en compte les "différents niveaux de complexité [qui] rendent inopérante, au moins si on veut comprendre un peu mieux les ''médias arabes'', une étude partielle concentrée sur un média"   . Du fait de cette approche sectorielle, la division de l'ouvrage est assez scolaire : la première partie se penche sur le paysage satellitaire, la deuxième sur les infrastructures ainsi que la publicité, et la troisième sur Internet de manière assez générale, en prenant en compte la presse écrite traditionnelle, pour rebondir sur le concept de confluence.

 

Un terrain de recherche en constante mutation...

Les médias arabes sont, depuis plus d'une quinzaine d'années, en constante mutation   . Sur le plan des infrastructures bien sûr, avec l'apparition puis la démocratisation de la diffusion satellitaire, d'Internet, du réseau haut-débit mobile, mais aussi au niveau des contenus et de la réception de ceux-ci. Sur le seul plan télévisuel, les chaînes nationales hertziennes sont peu à peu remplacées par des chaînes régionales voire internationales satellitaires et les chaînes publiques par des chaînes privées. L'essor des chaînes religieuses diversifie l'offre existante tandis que l'entertainment s'occidentalise fortement sur certains bouquets. Mieux encore : on a vu apparaître avec al Jazeera une évolution des flux informationnels, qui ne sont plus seulement Nord / Sud, mais Sud / Sud, allant jusqu'à devenir parfois Sud / Nord dans certains cas particuliers   . Tout un tas de chamboulements qui ne peuvent se limiter à la simple variable de l'offre, mais qui sont également fortement portés par celle de la demande, découlant elle-même des récentes évolutions socio-économico-politiques de ces dernières années   . En parallèle, le secteur de la publicité dans cette région du monde s'étend et ne semble pas impacté par la crise, tandis que la multiplication des blogs, de leur influence ainsi que de l'usage des réseaux sociaux fait figure d'une nouvelle prise de parole, politique ou non, voire d'outils de mobilisation ou de dénonciation.

 

en mal de délimitation(s) ?

En ce sens, tenter d'analyser les médias arabes comme un "tout", une seule et même entité, est complexe car fluctuant en fonction de l'évolution de la technique, mais aussi, et peut être surtout, des cas ou des pays traités. A n'en pas douter, l'évolution satellitaire n'est pas la même au Qatar qu'en Iran, en Libye voire au Maroc. L'impact de cette évolution non plus. De même, l'utilisation d'Internet à des fins militantes ou politiques n'est pas forcément comparable sur les bords de la Méditerranée que sur ceux de l'océan Indien. Sans parler des écarts de budgets publicitaires entre, pour forcer le trait, l'Arabie saoudite et le Yémen. On touche ici à la limite de l'analyse des "médias arabes"    qui est peu ou prou la même que celle du "monde arabe", que ce soit d'une point de vue politique ou économique. Gardant ce possible écueil à l'esprit   , certaines généralités sont néanmoins nécessaires, surtout dans ce domaine d'étude relativement récent. En effet, certaines constantes sont perceptibles et permettent un éclairage intéressant, comme l'influence positive du mois de Ramadan sur les revenus publicitaires   , la croissance des bouquets télévisuels payants    ou encore l'internationalisation du paysage satellitaire informationnel   ). Par ailleurs, la présentation des grands groupes audiovisuels arabes comme MBC, al Jazeera ou encore Rotana, de portée régionale voire mondiale, permet de mieux situer les similarités et les clivages existants, que ce soit au niveau des modèles économiques, des audiences ciblées ou encore des contenus proposés.

 

Internet seul ne fait le printemps

L'autre intérêt de cet ouvrage est également de battre en brèche cette idée, fort répandue, plus dans la presse généraliste que dans la littérature universitaire cela dit, que les "Printemps arabes" découlent en grande partie d'Internet, de sa démocratisation, mais aussi de sa politisation, en particulier par le biais des blogs. Mais les blogueurs seuls ne font pas les révolutions, pas plus que les réseaux sociaux. Comme le montre l'auteur, en se focalisant sur le blogging dans le cadre égyptien, c'est la presse écrite qui a lancé la contestation, reprise ensuite par certaines chaînes télévisuelles, avant de se cristalliser dans la figure du jeune blogueur diplômé, polyglotte et pour beaucoup occidentalisé   . Leur rôle a été d'autant plus remarqué que leurs actions ont été initialement relayées par les médias traditionnels, avant d'être repris dans un cadre internationalisé. Pour résumer, "Dans le champ médiatique, les ''révolutions'' sont nées d'une interaction dynamique, complexe et finalement réussie entre de nombreux acteurs sur le terrain, entre différents médias qui coexistent car ils répondent à des besoins et des usages distincts, dans une temporalité qui dépasse de très loin le strict temps de la révolution médiatique."    Ce qui va sans dire, ne minimise en rien leur rôle réel au sein de la contestation, mais permet d'éviter les stéréotypes.

 

En somme, Tourya Guaaybess réussi à proposer une introduction aux "médias arabes" fort pertinente, aidée par le concept de confluence médiatique. En contextualisant la récente évolution de ces différents secteurs, mais aussi en prenant en compte des variables socio-économiques diverses   ), et en apportant certaines clés de lecture à des évènements récent, elle dresse un portrait réaliste, illustré d'exemples concrets, sans tomber dans la généralisation à outrance. Un ouvrage qui, sans nul doute, est une véritable plus-value pour la recherche sur les médias dans le monde arabe, de par son côté globalisant mais aussi par son style abordable pour les non-spécialistes, et qui trouvera facilement sa place aux côtés d'ouvrages, spécialisés cette fois-ci, que ce soit sur un secteur bien particulier, un pays, ou encore même une chaîne

 

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"Sociologie du nouveau journalisme arabe", recension de l'ouvrage The New Arab Journalist : Mission and Identity in a Time of Turmoil de Lawrence Pintak
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