Dans la société française, les artistes se sentent négligés. On ne peut guère leur donner tort : la culture fut la grande absente de l'élection présidentielle de 2012. La responsabilité peut en être imputée à une décennie d'exercice du pouvoir par la droite : préférant une politique peu cohérente, faite de juxtaposition de projets disparates (parfois idéologiquement douteux), de dilapidation du patrimoine national, de mesures punitives et rétrogrades sur le numérique et de nominations aberrantes, elle n'a certes pas contribué à diffuser une image positive de la culture. Mais il faut sans doute y voir aussi un effet de la crise économique : toute dépense publique en faveur de la culture n'est-elle pas du domaine du superflu et, dès lors, du dispensable dans les temps difficiles ?

Nous ne le croyons pas. Comme un apprentissage, voir un film, assister à une représentation théâtrale, regarder un tableau, une sculpture, écouter une interprétation musicale, lire un texte littéraire nous donne des connaissances ; mais tout cela développe également la finesse du regard que nous portons sur le monde, nous donne des outils pour mieux le penser, nous rend attentifs à l'autre. Lorsque nous passons du côté de l'artiste, nous découvrons et saisissons mieux nos subjectivités à travers leurs manifestations. Lorsque nous pratiquons comme amateurs, nous ne sommes pas jugés, comme dans le cadre d'une formation, ni mis en compétition, comme pour une activité sportive, et pouvons dès lors librement nous consacrer à l'expression de ce que nous sommes et de ce que nous voulons ; nous en devenons des hommes et des femmes plus affirmés et maîtres d'eux-mêmes.
Cet enrichissement personnel et cette affirmation de nous-mêmes, nous pouvons les accomplir en collectivité, dans le partage des impressions et du plaisir que nous procurent les productions de chacun, pour leurs qualités propres ou ce qu'elles nous révèlent les uns sur les autres ; mais aussi dans la réalisation de projets communs qui nous permettent de tendre vers un but qui nous unit et font apparaître nos atouts comme nos insuffisances. Cela nous ouvre aux autres, tisse entre eux et nous des liens robustes et, en nous rendant plus humains, fait de nous des citoyens meilleurs. Cette richesse, cette force, cette cohésion, que la dépense publique nous permet en encourageant le travail des acteurs du monde de la culture, et au premier chef des artistes, pouvons-nous nous en passer, dans la tourmente ?
Nous choisirons d'envisager les choses de deux points de vue : celui des jeunes artistes et celui des jeunes consommateurs de biens culturels et amateurs de pratiques culturelles. Nous tâcherons de dégager, à travers quatre propositions, un projet cohérent faisant place à ces deux points de vue.

1. Le mécénat d'entreprise est un système qui finance efficacement les artistes. Mais les entreprises choisissent trop souvent de s'adresser à des artistes déjà reconnus sans avoir de visibilité complète sur l'offre artistique qui leur est ouverte. Les jeunes artistes, dont la réputation est par définition à construire, en pâtissent plus que d'autres. Il faut donc augmenter leur visibilité en créant une plate-forme au niveau national, administrée par l’État, qui recenserait les jeunes artistes de façon évolutive et exhaustive. Elle serait mise en place en coopération avec les établissements de formation artistique et les instances représentatives des artistes professionnels et serait diffusée auprès des mécènes potentiels.

2. Pour raviver le lien entre artistes et citoyens, un système d'incitation fiscale à l'achat d'œuvres de jeunes artistes ou encore à la découverte de jeunes troupes doit être mis en place. Cela permettrait un rapport plus personnel à l'objet culturel que les mesures de mécénat des particuliers déjà existantes et qui ne concernent que le don et non l'achat. Grâce au partenariat ainsi organisé entre publics et artistes, le début de carrière de ces derniers se trouverait facilité, les citoyens se verraient placés dans un rôle valorisant et l’État tirerait profit de l'activité économique qui en résulterait.

3. Les enquêtes sur les pratiques culturelles le montrent : c'est sur les activités culturelles plus que sur la consommation de biens culturels que l'influence des enseignements du primaire et du secondaire se fait le plus ressentir. Mais les sorties culturelles proposées aux élèves, si profondément enrichissantes soient-elles, les maintiennent dans une position de spectateur. La médiation culturelle, si elle fait le lien entre le public et l’œuvre, ne permet pas en tant que telle le développement de démarches expressives et créatives. Quant aux cours d'arts plastiques et de musique, leur contexte demeure scolaire et les élèves s'y sentent, comme ailleurs, obligés et évalués. Toutefois, certains enseignants organisent des rencontres entre leurs élèves et les artistes. Nous proposons de généraliser ces initiatives en mettant en place un temps à l'école qui ne soit pas un temps scolaire, où de jeunes artistes de domaines variés viendraient expliquer ce qu'est leur vie professionnelle, de quoi a été faite leur formation mais feraient surtout des démonstrations de leur art et initieraient leur jeune public à leur métier. Il se créerait ainsi une relation pratiquant professionnel- pratiquant amateur bien loin de la relation maître-élève, qui encouragerait chacun à s'exprimer comme il le voudrait dans un contexte à la fois sérieux et ludique.

4. Les déserts culturels existent en France. C'est au niveau local qu'il faut y remédier. En nous inspirant d'initiatives prises dans le domaine médical, nous proposons de mettre en place un système de 'contrats de vie culturelle' entre jeunes artistes et collectivités locales, au niveau communal, intercommunal ou départemental. Ces contrats seraient destinés à favoriser l'investissement personnel des jeunes artistes dans les collectivités en question. Les étudiants qui le souhaiteraient, sélectionnés sur des critères transparents déterminés en collaboration avec les établissements de formation, les partenaires sociaux et les collectivités verraient leur études financées par ces dernières, en échange de quoi les jeunes artistes, une fois leur formation en poche, s'engageraient à prendre une part active dans la vie culturelle de la collectivité pendant un certain nombre d'années. Leur implication, quel que soit son lieu (école, Maisons pour Tous, place publique, etc.) enrichirait la vie locale et permettrait d'approfondir encore le maillage culturel déjà serré de notre territoire.

La jeunesse, c'est la société qui se fait, non seulement au sens où la société de demain y est en éclosion, mais dans la mesure aussi où les jeunes influencent plus que jamais la société dans laquelle ils évoluent. Nous voudrions faire marcher main dans la main l'expression artistique de cette jeunesse et les aspirations à l'épanouissement de la société civile. Les artistes, protégés, intégrés, respectés par la société civile, lui transmettraient en retour leur dynamisme et leur créativité, leurs productions, leur expérience. Voilà la formule du contrat de culture que nous voulons voir passer


Nicolas Faucher, pour Cartes sur table